Le feu dans la ville au XVIIIème siècle
...quand il s’agissait de matériel d’incendie
es incendies à Fougères, notamment au XVIIIème siècle, sont restés tristement célèbres et les historiens locaux ont rapporté ceux de 1710, 1734, 1751 et 1762 qui ravagèrent la ville haute et conduisirent à une nouvelle politique de reconstruction, ce qui nous vaut aujourd’hui la perte des maisons à porches des rues Nationale, Chateaubriand et Lesueur mais aussi les beaux immeubles, anciens hôtels particuliers pour la plupart, qui s’alignent depuis le long de ces rues.
Fougères, à cette époque n’était pas munie de corps de sapeurs pompiers. Il faudra, en effet, attendre 1764 pour que la Communauté de Ville décide d’acheter du matériel incendie qui consista en deux pompes que l’on fit venir de Rouen, et en 200 seaux en osier qui furent godronnés à Fougères et fournis par le sieur Pestour de Rennes. Quant aux artisans locaux, ils furent chargés de confectionner câbles et échelles. L’entretien de ce matériel fut confié à Jean Claude Lambert, de Dol, que l’on dit être une personne intelligente et expérimentée.
Deux ans plus tard, en 1766, une compagnie de 18 pompiers fut enfin créée. Elle comprenait des charpentiers, des maçons et des couvreurs. Douze d’entre eux étaient chargés de la manœuvre des pompes.
En 1788, le 22 septembre, c’est le bas de la Grande Rue (près de la Halle aux toiles et à la viande) qui, après avoir été épargné en 1734, brûle à son tour. Deux semaines plus tard, le 4 octobre, 16 maisons du carrefour Saint-Jean (Place Gambetta) disparaissent également.
Après ces incendies, se pose à nouveau la question du matériel. Le maire, M. Le Mercier de Montigny, convoque l’assemblée de la Communauté de ville qui se réunit le 24 octobre 1788 pour délibérer sur ce sujet. Cette délibération a pour avantage de nous renseigner sur l’état du matériel existant alors pour combattre le feu.
Vous avez encore sous les yeux le désastre des deux incendies qui ont désolé notre ville.. déplore le Maire qui constate: Si les revenus de cette communauté ne permettent pas de se pourvoir de tous les outils et instruments propres à éteindre le feu et à en arrêter les progrès, songeons du moins, Messieurs, à nous procurer ceux que les gens de l’art jugent les plus nécessaires; pour une ville aussi souvent incendiée, c’est une dépense indispensable.
Lors des derniers incendies, tout le matériel disponible a été utilisé. Il convient d’en dresser l’inventaire et de veiller à son entretien.
Les pompes ont été réparées, les tuyaux raccommodés et huilés, mais il conviendrait, demande le maire, que les tuyaux et tous les petits ustensiles de chaque pompe soient renfermés dans un sac de toile étiqueté, ce qui éviterait qu’ils ne soient ni mêlés, ni confondus, de sorte qu’on ne craindra plus, comme il arriva au dernier incendie, de voir adapter à la grande pompe les tuyaux de la petite, ce qui pouvait faire crever les tuyaux et causer un plus grand dommage.
Les deux pompes achetées en 1764 sont donc toujours en service en 1788, mais il semble que l’on ait toujours des difficultés à les utiliser, puisqu’on mélange encore les tuyaux et que l’on éprouve le besoin de dissocier le petit matériel s’y afférant. Au moment de l’incendie, tout laisse à penser que les soldats du feu, loin d’être des professionnels, firent sans aucun doute tout ce qu’ils pouvaient, mais furent un peu débordés devant l’ampleur du sinistre et confrontés à un manque de moyens évident.
Les pompes étaient des pompes à bras, de sorte que la pression dans les tuyaux ne dépendait que de la force des hommes qui manoeuvraient la pompe. On était encore bien loin de nos lances à incendie modernes, et il faut s’imaginer que pour atteindre les étages supérieurs, il fallait faire tenir les tuyaux sur des perches dont l’extrémité était munie d’une fourche en fer. C’est ce que nous explique très bien la délibération municipale:
Il serait besoin de perches de différentes longueurs, au bout desquelles il y eut une fourchette de fer pour supporter les tuyaux des pompes quand le feu est dans un appartement élevé; il faut également des crochets ou mains de fer, attachés à des ficelles d’une certaine grosseur pour soutenir les mêmes tuyaux, dans le cas ou les perches ne pourraient pas y atteindre.
Des grappins plus ou moins forts et de formes différentes, des perches ferrées pour les porter dans les lieux élevés sont encore nécessaires, demande le maire. Il faut des cordages de longueur et grosseur différentes, il faut plusieurs échelles avec emboitures de fer afin de pouvoir les rallonger promptement; et pour soulager et soutenir ces échelles qui sont souvent chargées de beaucoup de monde, des perches fortes avec des fourchettes de fer sont absolument nécessaires.
On se rend compte qu’on manque de grandes échelles. On a bien des seaux en osier clissé que l’on a goudronné en dedans, mais ce sont ceux achetés en 1764 et l’on constate qu’ils sont d’un mauvais usage et qu’ils n’ont pu servir lors des derniers incendies car ils sont tout vermoulus et dégoudronnés
Il faut donc remplacer ces seaux. On pense bien acheter des seaux en cuir, mais on juge que ce serait trop dispendieux. Quant aux seaux d’osier, on a bien vu qu’ils n’étaient ni très efficaces ni très solides. On envisage alors d’acheter des seaux en bois, de ceux dont on se sert ordinairement dans le pays qui ont l’avantage d’être peu coûteux puisqu’on peut en avoir un cent pour 62 livres 6 sols. En achetant 200 seaux, la dépense ne serait pas énorme et on pourrait les tenir plus aisément en bon état, tout en en ayant un nombre suffisant.
Le maire propose que l’on demande au marchand de la ville qui les fournira de les entretenir et de les présenter en bon état toutes les fois qu’il plaira à la communauté de les visiter, ce qui aura aussi pour avantage de fournir un lieu de stockage autre que l’hôtel de ville. Si cette offre n’était pas acceptée par le fournisseur, la communauté elle-même pourrait se charger de les entretenir, sans une dépense plus considérable en vendant, de temps en temps, les vieux seaux et en les remplaçant par d’autres nouvellement faits.
La délibération constate également que beaucoup de haches ont été perdues et que celles qui restent sont en mauvais état. Il demande que celles-ci soient réparées et qu’on achète des haches neuves. Il conviendrait d’ailleurs que le pompier soit chargé de les entretenir. On retrouve souvent la mention du pompier et non pas des pompiers dans le texte de cette délibération municipale. Il s’agit, comme nous le verrons, de la personne responsable du groupe de pompiers composé de volontaires exerçant, comme on l’a vu précédemment, une profession. Ce responsable est rémunéré par la communauté.
Si des haches ont été perdues, peut-être ne l’ont-elles pas été pour tout le monde! car le maire demande que pour prévenir le vol des instruments et ustensiles en fer et en bois, ceux-ci soient marqués d’une empreinte qui ne pourra être effacée qu’en enlevant les morceaux où elle sera appliquée.
Pour stocker tout ce matériel, il conviendrait aussi de trouver un local approprié. Le mieux ne serait-il pas tout simplement l’Hôtel de ville, comme le propose le premier magistrat de Fougères:
Mais afin que tous ces instruments, outils et ustensiles soient tenus dans le meilleur ordre possible et qu’ils ne puissent être ni brouillés, ni mêlés avec d’autres effets; afin que le pompier surtout puisse veiller aux pompes, les visiter, les entretenir et que, dans le cas de feu, il n’ait aucun empêchement pour les faire conduire le plus promptement au lieu de l’incendie, il paraît très à propos de destiner exclusivement au dépôt de ces ustensiles la cave ou salle de cet hôtel de ville, la plus voisine de l’église Saint-Léonard. Il n’y aura d’autre ouvrage à faire que de pratiquer deux ouvertures à cette salle: une porte sur la rue avec une imposte grillée, et, pour entretenir un courant d’air nécessaire à la conservation des dits ustensiles et instruments, une fenêtre vis-à-vis qui donnera sur la place Saint-Léonard, laquelle fenêtre sera également grillée et se fermera dans les mauvais temps avec des volets de bois; il sera encore bon de mettre à ces fenêtre et imposte des treillis de fil d’archal pour empêcher les rats d’entrer en ce dépôt.
Voilà la proposition du maire pour l’aménagement de la cave de la mairie qui n’est autre que la belle salle voûtée que nous connaissons aujourd’hui.
Lors des incendies de 1788, beaucoup de particuliers ont apporté leur concours pour combattre le sinistre. C’est ainsi que le maire demandera à la Communauté de Ville de payer les échelles, cordages, seaux, haches et autres outils qui ont été prêtés ou fournis par les Fougerais et qui, en la circonstance ont été perdus, cassés ou brûlés.
Sur cette remontrance du maire, les membres de la Communauté de Ville sont favorables à l’achat du matériel d’incendie et charge le maire et M. Loysel de procéder aux achats nécessaires et d’effectuer les démarches qu’il conviendra pour pallier aux problèmes liés à l’entretien du matériel. Il sont chargés également du règlement d’indemnités aux personnes qui ont apporté leur aide lors des incendies et qui ont perdu du matériel. Pour ce qui concerne la proposition du maire d’aménager la cave de la mairie, la décision ne semble pas être prise. Nous verrons que finalement ces délibérations ne seront pas suivies d’effet.
Le maire attire également l’attention de ses collègues sur une sommation faite à la ville par Gastel, sergent royal, à la requête de M. Poirier de la Gautrais, avocat du roi. Ce dernier se plaint que lors du passage des troupes à Fougères, les corps de garde se placent, de temps immémorial au bas de la halle à viande où il n’y a pas cheminée. Or les soldats font du feu dans cette halle qui est voisine de sa maison. A plusieurs reprises, le feu s’est communiqué au plancher, notamment en 1787, lors du passage d’un détachement du Régiment de La Fère. On comprend que l’avocat puisse craindre un nouvel incendie de cette halle qui a déjà brûlé en 1734.
Par ailleurs, M. de la Gautrais rappelle que l’Intendant de Bretagne avait demandé, après avoir visité la halle lors d’un voyage qu’il fit à Fougères, qu’une cheminée y soit construite. L’ingénieur, le sieur Piou, consulté, estima la dépense à 300 livres.
Trouvant la dépense trop importante, le maire demande que l’on trouve un autre endroit pour loger les corps de garde des troupes lorsqu’elles passeront à Fougères afin d’éviter des accidents, et notamment de nouveaux incendies. La Communauté charge alors MM. Le Mercier, Patard, Fournel et Le Barbier de négocier la location d’un terrain appartenant au sieur Hubert et situé au dessous de la terrasse pour y établir le corps de garde dont la ville a besoin.
A propos des incendies, M. Le Mercier, maire de la ville, fait à la Communauté la déclaration suivante:
Le 22 septembre dernier cette ville avait déjà éprouvé dans sa rue du Bourg-Neuf un incendie considérable; les esprits n’étaient pas encore revenus de cette sorte de frayeur et d’accablement où jettent de pareils malheurs, quand, le 4 octobre au soir, il s’est allumé, à l’entrée du faubourg Roger, un second feu plus terrible et plus considérable que le premier.
Chacun de vous, Messieurs, dans ces tristes circonstances, a montré son zèle et témoigné sa profonde sensibilité. Il s’agit aujourd’hui de donner de nouvelles preuves des sentiments que vous avez manifestés; il s’agit de réunir vos efforts, afin de procurer un soulagement aux malheureux incendiés.
Les moyens les plus propres à réussir; la forme la plus régulière serait de constater par un procès-verbal rapporté par des commissaires que vous nommeriez à cet effet, un état exact des maisons brûlées ou endommagées, l’étendue des pertes que chaque particulier, propriétaire ou locataire, a éprouvé à l’un et l’autre incendie, autant qu’on pourra en juger par les vestiges et par les informations que prendront Messieurs les Commissaires avec les personnes les plus dignes de foi qui auront quelques connaissances. Lorsque MM les Commissaires auront rapporté le procès-verbal en question, nous pourrions profiter de la tenue des Etats et solliciter des secours de la province.
La Communauté délibère sur cette proposition du maire et nomment MM. de Morière, Loysel et Le Breton, comme commissaires qui feront appel au sieur Brochet, afin de rapporter procès-verbal des maisons incendiées et des pertes subies par les Fougerais sinistrés. Par ailleurs, elle autorise la veuve Duplessix-Jamaux et le nommé Roustiau Regratier, dont les maisons ont subi des dommages lors de l’incendie du 4 octobre, à recouvrir leur maison pour se mettre à l’abri des injures du temps
Une autre délibération, celle du 17 novembre 1788, nous apporte un autre éclairage sur les conséquences de ces incendies. Le Maire remontre à ses collègues que les incendies arrivés en cette ville les 22 septembre et 4 octobre derniers, lorsque les dommages de ceux de 1751 et 1762 n’étaient point encore entièrement réparés, ont réduit un grand nombre d’habitants à un état de misère affligeant; qu’il est du devoir et de l’humanité des administrateurs de chercher les moyens d’y remédier; que l’un de ces moyens consiste à empêcher le plus qu’il est possible, la sortie du numéraire en circulation et l’autre à solliciter des secours auprès des puissances en état d’en procurer d’efficaces; que relativement au premier, la voix publique s’élevant de toutes parts contre le bureau de loterie qui absorbe, à chaque tirage, des sommes considérables et ruine quantité de citoyens, lesquels tombent à la charge du public en augmentant le nombre des indigents. Il est utile de délibérer si l’on doit en solliciter la suppression.
Quant au second, s’il ne serait point avantageux de s’adresser au Gouvernement dans la personne de Monseigneur Necker, directeur général des Finances, et à son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc de Penthièvre, comme gouverneur de Bretagne et engagiste du domaine de Fougères, afin d’en obtenir des secours propres à remédier au malheurs publics.
La Communauté de ville acquiesce aux propositions du maire et le charge, avec les recteurs des trois paroisses de la ville et MM. Loysel, Devaulevier, Giraudais, Gautrais et de la Bouteillère de rédiger l’adresse qui sera faite au ministre et au gouverneur de Bretagne.
Nous ne savons si la supplique fougeraise reçut quelques faveurs. Il est vrai que nous abordions une période difficile car en 1789 la situation politique et économique était au plus mal. Les délibérations suivantes ne mentionnant pas l’arrivée de subsides et il se peut bien que ceux-ci n’arrivèrent jamais. Quant à la loterie, c’est bien connu, lorsqu’on n’a plus rien à espérer, on peut toujours s’y risquer en souhaitant gagner le gros lot qui résoudrait tous vos problèmes. De nos jours encore, ce ne sont pas forcément ceux qui ont le plus de moyens qui s’évertuent à forcer le destin en achetant l’un des nombreux billets que les loteries de toutes sortes nous proposent.
Pour ce qui concerne le matériel d’incendie et l’aménagement d’un local pour le recevoir dans la cave de l’hôtel de ville, les décisions prises eurent beaucoup de mal à se concrétiser.
Au cours d’une autre séance municipale (14 mai 1789), un plan et un devis estimatif, dressés par l’architecte Brochet, pour l’ouverture d’une porte devant faciliter l’entrée et la sortie des pompes à incendie, sont présentés à la Communauté.
Le devis, dont on ne précise pas le montant, semble élevé, car les membres de l’assemblée municipale présents disent qu’il est possible de diminuer les frais qu’entraîne la construction de cette porte en supprimant le projet de faire pratiquer au-dessus une imposte fermée de barreaux de fer. D’ailleurs, le marchand de seaux lui-même, assure que si l’on donne autant d’air à l’appartement où on compte déposer les seaux en fournissant l’imposte projetée, ces seaux se dessècheraient et couleraient nécessairement.
Finalement, il est décidé de renoncer à l’ouverture de cette nouvelle porte car les frais qu’elle entraînerait seraient plus considérables qu’on ne l’avait prévu; la Communauté ayant seulement arrêté que pour éviter les sauts et contre-sauts qu’éprouvent les pompes à incendie lors de leurs sorties, la pierre de taille qui fait le pas de la porte actuellement existante serait repiqué et taillé en glacis.
Dans cette délibération, il est dit également que MM. Fournel et Martin, membres de la Communauté, ont assisté à l’épreuve des pompes et que le pompier leur a fait remarquer que l’eau se répandait dans les manches de cuir, par cinq ou six endroits, par faute de couture et que dans l’une des manches (servant à emboîter les tuyaux), il existe un trou qui laisse l’eau s’échapper avec violence, qu’enfin, les pistons de la grande pompe sont trop libres et qu’il serait nécessaire de les faire restreindre pour augmenter le jet d’eau qui ne se trouve pas lancé avec la force qu’on pourrait lui donner.
Comme on peut le constater, les pompes à incendie seraient encore inefficaces si un nouveau feu venait à se déclarer. La Communauté autorise le miseur de la ville à engager les dépenses nécessaires pour effectuer les réparations qui s’imposent.
Quant à l’achat de matériel qui était prévu depuis la délibération du 24 novembre 1788, on constate qu’un an plus tard, celui-ci n’avait toujours pas eu lieu. En effet, une nouvelle délibération précise, le 28 octobre 1789, que M. Le Mercier, maire, et M. Loysel qui avaient été nommés pour en faire l’emplette, ne le firent pas, parce que l’un a renoncé à la place d’officier municipal et que l’autre n’assiste plus aux délibérations de la communauté et commune de cette ville.
Le Mercier, en effet, a renoncé à ses fonctions le 18 octobre 1789, quant à Loysel, il attendait son heure car bientôt il sera maire de Fougères.
En attendant, sur la remontrance du citoyen Joubin, conducteur des pompes à feu, il est décidé que la délibération de l’année précédente serait exécutée immédiatement. On allait donc enfin acheter seaux et échelles, haches et grappins, perches et fourchette de fer et on allait remettre les tuyaux qui fuient en état.
On décide aussi, à nouveau, de pratiquer une porte nouvelle à l’hôtel de ville donnant cette fois sur la rue, d’une largeur de 4 pieds et de six pieds de hauteur, soit environ 1,30 m sur 2 m, pour servir à sortir et entrer les pompes à feu, échelles, cordages, et autres instruments nécessaires aux incendies, et afin de faciliter les revues et les réparations de ces pompes et ustensiles; laquelle porte sera fermée d’un vantau (ventail) fait en planches d’au moins un pouce et demi d’épaisseur avec fortes barres et écharpes en dedans et assemblées bien solidement; ferrées de deux fortes pentures et gonds et d’une forte serrure; au surplus les jambages de cette porte seront en pierre de taille avec crochets et lancis avec une voûte en pierre frède (froide).
Il ne s’agit plus là d’aménager la salle voûtée de la mairie, mais d’ouvrir vers l’extérieur la cave qui se trouve sous la salle du rez-de-chaussée, elle-même située en dessous de la salle des délibérations. Compte tenu des dimensions de cette porte, il pourrait très bien s’agir de la petite porte qui existe encore au pied de l’escalier de la porte d’entrée actuelle de l’hôtel de ville. Cette porte s’ouvre en effet sur une cave, celle où, pendant la Révolution, on remisait les canons de la municipalité.
Et ce fut ainsi que la cave de la Mairie de Fougères devint le premier dépôt de matériels d’incendie de la ville, mais il faudra attendre encore bien longtemps avant de voir la première caserne des pompiers installée seulement en 1821.
La libération du 20 mai 1790 nous donne le nom du Directeur des pompes à feu, c’est-à-dire du responsable du service incendie de la ville: il s’agit du sieur Joubin. Dans cette délibération, nous apprenons également que les gages de Joubin étaient de 50 livres par an et que pour cette somme, il n’était tenu qu’à exercer les pompes, à les entretenir et à les conduire au feu dans le cas d’incendie. On suggère alors de porter sa rémunération à 60 livres, mais, en contrepartie, il sera chargé aussi de tous les petits ustensiles des pompes qu’il déposera dans la salle basse de l’hôtel de ville, à ce destinée, et dont il aura la clé.. Par ailleurs, Il devra nettoyer et maintenir en bon état les dits ustensiles, graisser les tuyaux, aura soin des haches, exercera les pompes quatre fois par an et les dirigera dans les incendies.
Dans le traité entre la Communauté et Joubin, il est dit aussi que pour exciter son zèle dans ces malheureuses circonstances (les incendies), il ne devra être payé du travail qu’elles exigeront qu’en proportion du temps qu’il aura passé, des dangers qu’il aura courus et des soins qu’il se sera donnés pour éteindre le feu ou pour en arrêter le progrès.
Le maire ne souhaite pas faire appel à l’adjudication pour cette dépense, car dit-il il faut un homme de probité, de confiance, et bien entendu le rabais pourrait en donner un qui n’aurait rien moins que toutes ces qualités.
Cette même délibération propose de conclure un traité avec le sieur Angomard, menuisier fougerais, pour la fourniture de 200 seaux de bois, à raison de 10 livres la douzaine. 72 de ces seaux seront avec des anses roadées et les autres avec des anses plates. Le fournisseur devra s’engager à les tenir toujours en état de servir.
Lors de tous ces incendies successifs, on s’est forcément bien rendu compte que, d’une part, on manquait de matériel – et l’on voit que ce n’est pas simple de s’équiper et que les délibérations prises en ce sens ne sont guère suivies d’effet – et, d’autre part, que l’on manquait aussi d’organisation. C’est ainsi que le maire, demande qu’un Règlement pour les incendies soit mis sur pied, de manière que soient indiquées les fonctions que chaque citoyen doit y remplir et la place qu’il doit occuper. Il conviendrait, poursuit-il, que soit désigné un certain nombre d’ouvriers, tant charpentiers que maçons et couvreurs qui se trouveront spécialement aux incendies pour y travailler sous les ordres d’un chef et qui devront avoir une marque distinctive pour se faire reconnaître…
C’est une ébauche d’un corps de pompiers légalement constitué. Seulement, les membres de la municipalité décident de consulter Messieurs de la Garde Nationale. Ceux-ci devront donner leur avis sur le règlement futur et sur la marque distinctive des ouvriers appelés à combattre l’incendie. Les citoyens Battais, Brochet et Boulanger seront payés selon les certificats établis et proportionnellement à leur travail et au service qu’ils auront rendu. Ces trois personnes font donc partie, avec le sieur Joubin, des pompiers de Fougères en 1790.
Le 23 mai 1790, une délibération municipale nous apprend que le miseur de la ville, le sieur Fournel, a réglé différentes sommes (deux ans après!), soit à des particuliers qui ont prêté et perdu du matériel lors des incendies de 1788, soit à des fournisseurs de matériels incendie à la ville. En voici le détail:
Débiteur | Profession | Somme due | Date de la quittance | Observations |
---|---|---|---|---|
Prével | marchand de seaux | 46 livres 17 sols 6 deniers | 14 mai 1789 | 75 seaux fournis à l’incendie du 22 septembre 1788 |
Louard | ? | 3 livres 4 sols 6 deniers | 16 juin 1789 | 5 seaux fournis au même incendie |
Angomard | menuisier | 29 livres | 23 mai 1790 | 38 seaux fournis aux incendies des 22 septembre et 4 octobre 1788 |
Le Harivel du Rocher | tanneur | 40 livres | 6 juin 1789 | Cuirs vendus pour faire des tuyaux aux pompes à feu |
Battais | couvreur | 48 livres 8 sols | 4 juillet 1789 | Pour avoir acéré et emmanché les 24 haches des incendies et pour lui rembourser ce qu’il y a perdu |
Soit un total de | 218 livres 12 sols | |||
Quant aux conventions qui devaient être passées avec le pompier Joubin et le menuisier Angomard, fournisseur des seaux, elles n’ont pas avancé d’un pouce, et l’on voit encore, le 18 septembre 1790, la Municipalité reprendre une délibération identique à celle déjà prise sur ces mêmes objets le 20 mai précédent.
En fait, depuis deux ans, l’enfer des incendies dévastateurs était demeuré pavé de très bonnes intentions. Aussi, peut-on s’interroger sur l’efficacité des édiles fougerais à cette époque en matière de prévention des risques majeurs. Le feu avait pourtant détruit quantité de vieilles maisons au cours de ce siècle et celles qui subsistaient, en devenant rares, n’en restaient pas moins une proie facile pour les flammes et, comme toujours, on ne tirait pas les leçons de l’Histoire.
Puis vint des jours plus sombres encore pour notre petit Pays. Entre 1790 et 1794, il n’est plus question des pompes à incendie dans les délibérations municipales. D’autres incendies s’étaient allumés, mais ils étaient d’un autre ordre.
Après les deux passages, dans sa Virée de Galerne, de la grande armée de Vendée à Fougères, une délibération municipale du 24 ventôse de l’An 2 (14 mars 1794), nous apprend que les pompes à incendie n’avaient pas été épargnées par les Vendéens. Le Conseil général de la commune, sur l’intervention du citoyen Le Mercier, agent national, considère en effet que les pompes à feu ayant été considérablement endommagées par les brigands de la Vendée et qu’il serait dangereux de les laisser plus longtemps dans un pareil état, autorise le sieur Joubin, chargé de l’entretien des pompes, à faire mettre en bonne réparation et à faire tous marchés et achats nécessaires et le charge expressément de faire faire ces réparations dans les plus brefs délais.
Qu’en advint-il exactement? Sans doute Joubin fit-il tout ce qu’il put pour remettre les pompes en état. Cependant, l’ordre qui lui avait été donné n’était pas accompagné d’un budget particulier, de sorte que le pompier Joubin devait faire l’avance des frais engendrés par ces réparations. Le put-il? Oui, et nous le verrons un peu plus loin, car Joubin était honnête et consciencieux.
Quoiqu’il en soit, il faut attendre le 21 pluviôse de l’an 3 (9 février 1795) pour trouver dans les registres une délibération qui traite du matériel incendie, et plus particulièrement des haches. Si nous avions déjà appris que les Vendéens, lors de leur passage à Fougères, avaient détérioré les pompes à incendie, nous apprenons aussi qu’ils avaient volé les haches déposées avec le reste du matériel dans la cave de la mairie.
Depuis, ce matériel de première importance manquait. Aussi, en ce 9 février 1795, procède-t-on à l’adjudication qui permettra de faire fabriquer 12 haches de la même forme de l’ancienne qui sera remise à l’adjudicataire pour lui servir de modèle. Il en restait au moins une! nous verrons plus loin qu’il en restait encore cinq.
Par ailleurs, ces haches devront être de force satisfaisante et bien proportionnée. La longueur de la lame, y compris la tête, devra être de 9 pouces et la largeur, à l’endroit du tranchant, de 4 pouces et demi. L’épaisseur des haches devra être convenable pour qu’elles pèsent environ 4 livres et demie chacune.
Ces haches nouvelles devront répondre, nous le voyons, à des normes de fabrication strictes. Nous ne nous étendrons pas sur la longueur ou la largeur de la tête des haches faite en triangle, de la douille, du manche qui devra être de bonne qualité, etc. tout est parfaitement détaillé. L’acier qui servira à la fabrication devra être employé en quantité suffisante, bien travaillé, bien trempé de manière à ce que la coupe en soit bonne.
Trois artisans sont présents à cette adjudication. Ce sont: Jean Doré, de la commune de Fleurigné, qui propose d’effectuer ce travail pour la somme de 36 livres par hache. La veuve Hautrais offre 30 livres, le citoyen Joubin, 27 livres.
Comme il s’agit d’une adjudication au rabais, Doré propose alors 26 livres, Joubin qui veut le marché, y va pour 25 livres 10 sols, suivi par la veuve Hautrais qui propose 25 livres. Finalement, ce sera Joubin qui sera déclaré adjudicataire pour le prix de 24 livres 15 sols par hache fournie. Il devra présenter son travail pour une réception à l’amiable dans un délai d’un mois s’il veut être payé; et aussi prendre à sa charge la réparation et la remise en état des cinq vieilles haches encore existantes, de telle manière qu’elles puissent servir.
Le 29 floréal an 3 (18 mai 1795), à la suite d’un procès-verbal dressé par Joubin, responsable des pompes à incendie, et par l’architecte Brochet, constatant quels sont les objets qui manquent aux pompes à feu et des réparations urgentes dont elles ont besoin, le Conseil général de la commune prend un arrêté qui, en ordonnant immédiatement les réparations, décide de demander au District l’envoi de 80 pots d’huile qui seront employés à l’entretien et à la conservation des tuyaux des pompes, ainsi que du suif et de la graisse pour être mêlés avec l’huile.
Cet arrêté est aussi l’occasion d’établir une sorte de règlement. Une délibération, nous l’avons vu, du 20 mai 1790 en avait déjà fait la proposition, mais n’avait pas été suivie d’effet. Cinq ans plus tard donc, l’arrêté du 29 floréal de l’an 3 nomme les citoyens Chaplain et Rochard conducteurs en second sous le commandement du citoyen Joubin, conducteur en chef. Ils recevront un traitement de 50 livres chacun et, en cas d’incendie, devront se rendre aux premiers avertissements à la porte du magasin de la maison commune où les dites pompes et caissons sont déposés, et là, ils recevront les ordres du dit Joubin et de la municipalité.
Les conducteurs de pompe porteront une médaille ovale en cuivre sur le côté gauche, suspendue par un ruban tricolore. Cette médaille portera l’inscription conducteur en chef des pompes à feu ou conducteur en second des pompes à feu. Ils seront donc ainsi très officiellement identifiés et accrédités.
Ils sont, par ailleurs, tenus de prendre le plus grand soin des pompes, de les essayer régulièrement, de graisser souvent les tuyaux pour les tenir continuellement en bon état de service. Afin de pouvoir essayer les pompes, il est décidé, pour plus de commodité, d’installer une citerne dans le local où est rangé le matériel. C’est le sieur Brochet qui est chargé de ce travail.
Le conducteur en chef Joubin se sent investi d’une très lourde responsabilité depuis, qu’en plus des pompes, il est aussi chargé de la garde du magasin des armes, poudres et munitions de guerre et demande de l’augmentation. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons une nouvelle délibération le 7 nivôse an 4 (28 décembre 1795) qui traite de ce sujet. Le Conseil débat sur le traitement proportionné à la responsabilité du sieur Joubin qui n’a pas été payé depuis quinze mois et qui présente un mémoire de 125 livres pour son salaire et un autre de 33 livres pour des dépenses qu’il a faites pour l’entretien des pompes, ce dont nous avons parlé plus haut.
Le Conseil décide - c’est la moindre des choses - de payer ce que la ville doit à Joubin et se propose de lui accorder désormais un traitement de 100 livres, au lieu des 60 livres accordés en 1790, mais insiste particulièrement sur le fait que le payement de cette somme ne pourra se faire qu’en assignats.
Le 14 janvier 1797 (25 nivôse an 5), nous voyons Louis Joubin demander l’exemption de son service dans la garde nationale car, dit-il, il est attaqué d’une goutte sciatique qui lui fait souffrir les douleurs les plus aiguës et le rend conséquemment hors d’état de faire ce service.
L’administration municipale considérant qu’un garde magasin des munitions de guerre ne peut faire le service de la garde nationale puisque dans un cas de générale son principal poste est à son magasin et que le citoyen Joubin a des infirmités connues, décide, en conséquence, de le rayer du rôle de la garde nationale de Fougères.
Louis Joubin occupe son poste avec compétence et sérieux et agit en responsable. C’est ainsi que nous le voyons intervenir lors d’une séance du Conseil municipal, le 9 pluviôse an 5 (28 janvier 1797), où il se plaint de voir le citoyen Foisnel, qui semble avoir un rôle particulier dans la municipalité puisque l’on dit qu’il a son logement dans la mairie, occuper, avec l’autorisation de l’administration municipale, une partie du magasin dont Joubin à la charge.
Joubin fait observer que l’intérêt public et sa responsabilité exigent que désormais il reste seul dépositaire des clefs des magasins et attendu l’importance des objets qui y existent.
Le conseil admet volontiers qu’il est de la plus grande importance que les munitions et autres effets précieux déposés dans les magasins de la maison commune soient mis dans le plus grand état de sûreté, et qu’il serait dangereux de tolérer plus longtemps le débit de cidre que fait le citoyen Foisnel, attendu que cette vente attire ordinairement beaucoup de monde et qu’il en peut résulter les plus grands inconvénients
Fouesnel, pour arrondir sans doute ses gages, n’hésite donc pas à vendre du cidre dans les caves de la mairie, ce que le Conseil n’admet guère. Il est indécent, dit-il, de voir une buvette dans le même corps de logis servant aux séances des différents tribunaux et que des plaintes multipliées ont été portées à ce sujet.
Après avoir entendu le Commissaire du Directoire exécutif, l’administration municipale ordonne à Foisnel de vider le magasin qu’il occupe, lui demande de chercher un autre logement et lui défend de vendre à boire. Quand au citoyen Joubin, il aura seul la disposition des locaux dont il a la charge.
Mon étude s’est arrêtée à cette date, mais, sans doute, une consultation plus poussée des délibérations municipales nous apprendrait-elle que grâce à des hommes comme Louis Joubin, les Fougerais purent compter sur un corps de pompiers bien équipé et efficace, ce qui devait les rassurer pleinement si, par malheur, le feu - ce feu destructeur qui en avait ruiné plus d’un - reprenait en quelque endroit de la ville.
En tous cas, les investigations sur le sujet restent ouvertes.
(Archives municipales de Fougères – Série H)