À Fougères...
...le Boulevard de Rennes
e n’est qu’en 1783 que les États de Bretagne décidèrent de faire passer la route de Rennes à Paris par Fougères. Pour ce faire, il fallut alors aménager ce qu’on appelait les banlieues, c’est-à-dire les voies situées à la sortie de la ville.
Jusqu’alors, pour aller de Fougères à Paris, plusieurs routes étaient possibles, utilisées selon leur état d’entretien du moment. D’abord, la « vieille route » d’Alençon (de Sées à Carhaix) suivait le Bourg-Roger, passait à Groslay, à la Cour Gelée en Laignelet, au Mont-Romain en Le Loroux et rejoignait l’ancienne voie de Chartres à Carhaix. Un procès-verbal de 1731 dit que cette route, entre Fougères et Le Loroux, « avait besoin de 600 voitures de pierres pour sa réparation ».
On pouvait aussi utiliser le Chemin Chasles qui, par Iné, les environs de Javené, la Chaudronnerais et Beaucé, conduisait à Ernée d’où l’on continuait vers Mayenne.
Selon Émile Pautrel, au XVIIème siècle, les messageries étaient dirigées sur Paris par Ernée, mais, le 19 juillet 1611, la Communauté de Villé décida de les faire passer par Vitré. En 1714, le coche et les carrosses passent par Fleurigné, donc par Ernée.
Le 24 novembre 1778, lors d’une réunion de la Communauté de Ville, Messieurs Le Harivel du Rocher et Le Harivel de la Maison Neuve remontrèrent à l’assemblée municipale que « différentes requêtes ont été présentées tant par la communauté de ville de Fougères que par celle d’Ernée à Nos seigneurs des États tendantes à ce qu’il leur plût fixer la route de Paris à Rennes et autres villes de la province par Fougères, que l’avantage que retirerait la Bretagne semble assurer son succès, mais que le choix des divers plans n’est pas indifférent à la paroisse de Saint-Sulpice, parce que si Nos Seigneurs se déterminent à ordonner qu’on ouvrira une nouvelle route près le passage de Sainte-Anne, à une demi-lieue de Fougères, rendant à la Garenne et de là au Faubourg de l’Echange, pour revenir ensuite par les bois du Parc et rentrer en ville par le nord au moyen d’une levée, alors personne ne passera plus par le faubourg du Gast et la Pinterie et toute la paroisse de Saint-Sulpice cesserait d’être fréquentée et deviendrait un cul de sac et son commerce deviendrait anéanty ; au lieu que si Nos seigneurs des États se portaient à conserver l’ancienne route, en y faisant les réparations nécessaires pour la rendre commode, le commerce des rues de la Pinterie, du Bourgvieil, du Gast et de Saint-Sulpice recevrait une nouvelle activité... »
Après de longues discussions, la décision des États de Bretagne de faire passer la route de Rennes à Paris par Fougères fut finalement motivée par le fait que la distance est plus courte. En 1775, on avait effectivement calculé que de Rennes à Mayenne, il y avait « 18 lieues ½ et 591 toises », soit 44991 toises ou 22 lieues de poste, tandis que de Vitré, il y avait 26 lieues de poste.
En passant par Vitré, un carrosse mettait deux journées et demie tandis que par Fougères, il était assuré d’arriver à Mayenne le second jour. Par ailleurs, l’état de la route de Rennes à Fougères « faite depuis longtemps », était « meilleure et plus solide » que celle de Vitré et la route de Fougères à la Templerie « où finissait la Bretagne » était « presque toute formée », tandis que de la Templerie à Mayenne, le chemin était « coupé en ligne droite » et réunissait « la solidité et la largeur ».
À la sortie de Fougères, la banlieue vers Ernée était à peu près en bon état, cependant, il n’y avait pas de pont sur le ruisseau de Mare-Bouillon qui coupait la route et que l’on passait à gué.
Toujours selon Émile Pautrel, pour aller de Fougères à Rennes, on utilisait l’ancienne voie de Carhaix à Chartres qui passait par la rue des Fontaines, les villages de Bliche en Lécousse, Bonnefontaine en Romagné, Saint-Sauveur des Landes jusqu’aux environs de Vieux-Vy-sur-Couesnon où l’on retrouvait la voie de Bayeux à Rennes. Un vieux chemin, entre Baillé et Le Tiercent, porte encore le nom d’ « ancienne route de Rennes ». En 1791, on dit que ce chemin était « inabordable pendant une partie de l’année ». « C’est pourtant, ajoute t-on, le débouché le plus direct de Saint-Sauveur, Saint-Hilaire, Baillé, Saint-Ouen, Saint-Christophe (de Valains), Saint-Marc (sur Couesnon) et de sept à huit autres paroisses ».
On pouvait aussi se rendre à Rennes en suivant le chemin Chasles que l’on retrouvait à Javené (le Couesnon au pont Saint-Julien se passait à gué) ou à Larchapt (en Romagné), et qui passait par Vendel jusqu’au Patis-Buret. À Saint-Marc-sur-Couesnon, on retrouvait Saint-Ouen-des-Alleux et la route citée précédemment.
En 1541, un aveu de l’abbaye de Rillé mentionne un chemin qui partait du Gast (Saint-Sulpice) vers Vendel (par Gibary), d’où on pouvait rejoindre Rennes par les villages des Rues et de la Rue-Vendel, puis par Rumignon, Sevailles, Chevré...
Ce ne fut guère qu’au XVIIIème siècle que la route de Fougères à Rennes prit le tracé que nous lui connaissons aujourd’hui. D’ailleurs, en 1790, on voit le District de Fougères demander que « le rocher de Gosné » soit adouci, ce qui tendrait à prouver que l’on utilisait alors cet itinéraire.
Venant de Rennes ou de Paris, lorsque l’on arrivait à Fougères, il fallait bien traverser la ville, ce qui s’avérait particulièrement difficile.
Si l’on prend le sens Paris-Rennes, il convenait de passer par la rue du Colombier (ancienne rue de l’Hospice), de grimper le Roquet (la rue de Paris), de traverser la Petite Douve (Place Aristide-Briand), avant de passer sous la Porte-Roger et d’accéder à la place du Brûlis (Place du Théâtre) et de descendre la rue de la Pinterie alors bordée de porches. On arrivait alors au bas du Gast par la rue de la Fourchette qui doit son nom à une maison qu’on dut abattre pour libérer le passage, et la Porte-Notre-Dame qui faillit bien être démolie car elle était fort étroite pour laisser passer les voitures. On remontait ensuite toute la rue des Fontaines pour arriver à Bliche où le ruisseau de Pérousel se passait à gué.
Les voituriers se plaignaient du mauvais entretien de ces rues mal pavées et surtout de la pente trop rapide de la Pinterie et de la Fourchette. Les porches réduisaient aussi le passage et pour comble de commodité, une fontaine se trouvait située à l’entrée du Gast, « placée au milieu du chemin, sans parapet ni marzelle », de sorte que les habitants des maisons avoisinantes, « pour se défendre contre l’eau s’en échappant, ont pratiqué une levée devant leur maison, ce qui réduit le passage à la largeur d’une charrette ».
On s’imagine aisément les « problèmes de circulation » le long de cet itinéraire pour le moins encombré.
Les autres banlieues de la ville dont l’entretien était à la charge de la Communauté, sont tout aussi impraticables. En 1767, un premier procès-verbal des travaux à réaliser est dressé, puis en 1779, on fait venir l’ingénieur Piou et on le charge de lever les plans des abords de Fougères, d’y tracer la direction à donner aux routes et de dresser devis des ouvrages à faire. On lui adjoint pour l’assister le maire, le procureur du roi, le recteur de Saint-Sulpice et M. Poirier de la Gautrais.
Ce devis monte à la somme effrayante de 165.634 livres et « l’on ignore absolument quels moyens on pourra employer pour couvrir cette dépense » Le 13 juin 1781, tous les membres de la Communauté de la ville se réunissent pour discuter de cette importante question. Pour les banlieues de Rennes et du Maine, on demande « qu’on chargeât de ce travail les corvoyeurs », tout en espérant que « le roi viendra au secours de la ville ».
De plus, pour le passage de régiments on avait dû dépaver les banlieues. L’intendant demande que celles-ci soient réparées. La ville n’en a pas les moyens, d’autant plus qu’elle est en train de construire un pont près de l’étang de la Couarde – il s’agit du Pont de Rennes qui relie la place Pierre-Symon à la place Raoul II – dont le devis s’élève à 2.553 livres et 15 sols. Finalement, le ministre de la guerre consentit à payer 1.122 livres pour réparer le gué de Pérousel dans la banlieue de Rennes.
Malgré tout, les travaux n’avancent guère. Les ressources de la ville se montent à 3000 livres par an, ce qui ne la rend pas en mesure d’effectuer des travaux aussi énormes. L’Intendant fait répondre que le commissaire du roi ne donnera jamais son consentement si l’on n’a pas recours à quelque expédient tel qu’un établissement d’octroi donnant de 2 à 3000 livres de revenu et un emprunt de 30 à 40.000 livres.
Le 28 octobre 1782, s’ouvrent les États de Bretagne. Le maire, M. Le Mercier s’y rend et demande des secours. Il sera entendu, mais ce ne sera que le 20 janvier 1783 que les États proposeront une somme de 20 à 30.000 livres à la condition que la Communauté de Ville « double sa capitation jusqu’à entier achèvement (des travaux) ».
Le 9 avril 1783, M. Le Mercier rend compte de sa mission auprès des États. Il a obtenu que les routes de Paris à Rennes et de Saint-Malo à Brest passeraient par Fougères, et ce grâce à l’appui de l’évêque de Dol, du Comte de Bédée et de M. Hay de Bonteville. C’est alors qu’on commença les travaux entre Rennes et Fouillard et que les plans des banlieues de Fougères furent adressés au Conseil du roi pour approbation. Le maire a aussi obtenu une somme de 12.000 livres pour la réparation des routes et 3.000 livres pour la réparation des ponts et des pavés.
Un devis définitif (16 septembre 1784) atteignit la somme de 62.000 livres, dont 30.000 livres furent à la charge de la ville. Pour financer les travaux on établit aussi de nouveaux octrois. Tous les consommateurs de boissons durent payer 4 livres par barrique de vin, 15 sols par barrique de cidre, un sou par pot d’eau de vie ou de liqueur et 15 sols par huit boisseaux de pommes ou de poires. Seuls les hospices en furent exemptés mais pas leurs administrateurs et leurs économes. Le couvent des Récollets en fut également exempté. Les contrevenants en étaient pour 50 livres d’amende.
Le Rocher Coupé
Pour la nouvelle route de Rennes, les travaux furent longs. La première pierre du « Pont Bertrand » (ou pont de la Couarde), près de ce que l’on appelait déjà le Rocher Coupé, fut posée le 25 juillet 1786.
L’entrepreneur, nommé Louis Morel, avait prévu de terminer son travail en avril 1788, mais il accumula les retards, de sorte que la réception des travaux par l’ingénieur Piou ne se trouve mentionnée au procès-verbal du district de Fougères que le 4 janvier 1791. Des contestations s’étant élevées, des réfections furent nécessaires. Finalement la réception définitive de l’ouvrage ne fut jamais agréée.
Pour se rendre à Rennes, on continuait de descendre la rue de la Pinterie jusqu’au Pont de Rennes. Là, on prenait « le Rocher Coupé » et Bliche. La partie du boulevard de Rennes actuel allant du bas de la rue de Rillé à la route de Saint-Malo, « par le Portail Marie et Rillé » ne fut construite qu’après la Révolution.
Mais revenons à la construction proprement dite du « Rocher Coupé » en suivant les délibérations de la Ville de Fougères, celles de la Communauté de ville d’abord puis celles de la municipalité. Remontons jusqu’en l’année 1783 et notamment à la séance du 9 avril.
À cette séance, sont présents le maire Le Mercier, M. Le Sainthomme, recteur de Saint-Sulpice, Messieurs Poirier de la Gautrais, Lemoine de la Giraudais, de Morière, Vaulevier, Chardon, Paturel, Le Barbier, Patard, de la Bigne de Villeneuve, et Vigrou, greffier.
Le maire relate la position prise par les États en ce qui concerne le passage de la route de Paris à Rennes par Fougères: « L’embarras était, vous le sentez Messieurs, explique le maire, de faire prendre aux États des engagements sur une matière aussi importante. À force de demandes et de sollicitations, je suis parvenu à faire statuer sur notre requête, et plus que jamais aujourd’hui, les États sont convaincus de la nécessité de cette communication, mais comme une pareille opération ne peut être conduite à sa fin que pas à pas et graduellement, les États ont commencé par la partie du chemin de Rennes à Fouillard, et ils ont ordonné qu’ils feraient incessamment réparer ainsi que les pavés de la traversée de Saint-Aubin-du-Cormier ; quant aux abords et banlieue de Fougères, ils ont remis immédiatement après la confection de la route de Vitré à Montauban à s’en occuper ».
« Je ne dois pas vous laisser ignorer, Messieurs, que vous êtes en partie redevable de cette importante délibération à Monseigneur l’évêque de Dol et à Monsieur le Comte de Bédée de la Boitardais, ainsi qu’à Messieurs le vicomte de Bonteville et le comte de Montouet. J’ai eu l’honneur d’adresser mes mémoires à Monsieur le Ministre et à Monsieur l’Intendant du Maine. J’ai celui de vous mettre sous les yeux la réponse de Monsieur le Ministre de la Marine avec celle de Monsieur l’Intendant du Maine »
« Les États, sur ma représentation, ont ordonné que les plans qui, en exécution de leur délibération du 27 janvier 1779, a été livré par les ingénieurs de la province pour déterminer la direction de la route dans la banlieue de cette ville, seraient remis incessamment à la Commission intermédiaire que les États ont chargé d’en faire le plus tôt possible la vérification et de faire ensuite approuver les dits plans par le Conseil. »
Le Maire parle aussi de l’ordre du Roi qui intimait à la Communauté de faire réparer les pavés dans « la partie de banlieue de cette ville à Rennes »
« Ayant représenté aux États, dit-il, qu’au mois de septembre 1780, avait été dépavée, par ordre du roi, pour faciliter le passage de l’artillerie, une partie de la banlieue de cette ville pour Rennes, dans la longueur de 516 toises courantes et que le rétablissement de ce pavé devait occasionner une dépense de 10.000 livres qui ne pouvait avec justice être acquittée sur les deniers d’octroi de la ville de Fougères »
« Les États, frappés de cette considération, ont chargé les présidents des ordres d’écrire à Messieurs le marquis de Ségur, ministre de la Guerre et Joli de Fleury, ministre des Finances et de les engager à représenter au Roi que la ville de Fougères ne pouvant supporter cette dépense qui n’a été occasionnée que par un cas extraordinaire où il s’agissait d’un service militaire indispensable, il était de la Justice de Sa Majesté de pourvoir des fonds du Trésor au rétablissement de cette partie de pavés ».
« Les États, sur mes représentations, m’ont accordé la somme de 3000 livres pour être employée à la réparation de nos ponts et pavés. »
« Connaissant Messieurs, jusqu’où vous portez l’amour du bien public, et jusqu’où va votre attachement pour les anciennes formes, j’ai fait taire l’intérêt particulier de cette ville relativement aux octrois, parce que la Constitution nationale était blessée, et j’ai adhéré pour vous, avec mes collègues, à la renonciation formelle que nous avons souscrite de solliciter à l’avenir et sous aucun prétexte aucune levée d’octroi, soit anciens ou nouveaux, sans le concours et l’agrément des États et, en cela, j’ai satisfait au désir particulier que je vous ai toujours témoigné, de concourir autant qu’il était en moi, à la conservation et au maintien du droit national, et je n’ai pas laissé ignorer que votre intention fut toujours de vous opposer à tout ce qui pourrait avoir pour objet de diminuer en conséquence la délibération prise par les États sur cet objet le 13 janvier 1783 »
Lorsque M. Le Mercier parle du droit national et de la constitution, il fait bien entendu référence à la Coutume bretonne et aux privilèges de la province. Et de conclure:
Voilà, Messieurs, le résultat de mes opérations dans l’assemblée des États où j’avais l’honneur de vous représenter. J’ai fait valoir autant que mes faibles talents me l’ont permis, la dureté de notre position, l’étendue de nos besoins et les droits que nous avions à la protection de la province. Trop heureux, Messieurs, si j’ai eu le bonheur de remplir vos vues et de vous convaincre jusqu’où va mon dévouement pour les intérêts de la province et pour ceux de cette ville en particulier.
La communauté prend acte et remercie le maire intimement convaincue que ces délibérations propices au bien public et à celui des particuliers, ne peuvent être que l’ouvrage de l’activité et du zèle de Monsieur le Maire pour les intérêts de cette ville ; aussi lui témoigne-t-elle ses sentiments de la plus juste et de la plus sincère reconnaissance.
Lors de la séance du 9 février 1784, M. Le Mercier expose tout l’historique des requêtes effectuées pour trouver les fonds nécessaires à la réalisation des travaux. Il annonce en même temps l’envoi de 12.000 livres supplémentaires affectées à la réparation des banlieues. Cet exposé, un peu long et fastidieux, a l’avantage de montrer la lourdeur des procédures et de l’Administration:
Messieurs,
Dans le partage et la répartition que Nos seigneurs de la Commission intermédiaire viennent de faire des 200.000 livres accordées par les États pour les réparations des banlieues des différentes villes de cette province, cette ville est comprise pour une somme de 12.000 livres à joindre aux 3.000 livres qu’elle a obtenues aux derniers États pour la réparation de ses ponts et pavés ; la Commission vous l’a annoncé par sa lettre du 9 janvier dernier.
En accordant ce secours, Messieurs, le vœu des États et l’intention de Monsieur de la Bove, consignée en sa lettre du 18 du même mois, sont que chaque ville y joigne tous les fonds dont elle peut disposer, et qu’il en soit fait le meilleur emploi possible d’après les devis des ingénieurs ; pour être à lieu de remplir leurs vues, il est à propos de vous rappeler que par délibération des États du 27 janvier 1779, il fut ordonné qu’il serait levé un plan des directions qu’il conviendrait de donner à toutes les banlieues de cette ville.
Ce plan a été levé par le sieur Piou, ingénieur au département de Dol ; et afin que cette ville put, suivant ses devis, employer ses deniers de la manière la plus utile au bien public. Les États, par délibération du 29 janvier 1783, ordonnèrent à l’ingénieur de remettre incessamment ses plans à la Commission intermédiaire ; il le chargèrent en même temps d’en faire le plus tôt possible la vérification et de les faire ensuite approuver par le Conseil.
En conséquence de cette délibération des États, la Commission écrivit le 21 mars suivant à M. de la Boye pour lui demander les plans et les devis ; cet intendant répondit le 31 du même mois que M. le Contrôleur général les lui avait remis pour les faire vérifier et pour chercher les moyens d’en diminuer la dépense ; et pour y parvenir, il avait donné ordre au sieur Frignet d’examiner le tout de concert avec le sieur Piou. Ces plans n’ont point été remis à la Commission et la vérification ordonnée par M. l’Intendant n’a point eu lieu.
Il doit également entrer dans les opérations des ingénieurs un objet aussi important et absolument relatif aux plans et devis des directions de nos banlieues ; malgré les représentations, et si on peut le dire, les oppositions de cette communauté, consignées en sa délibération du 24 septembre 1780, elle fut forcée, par ordre du roi, de faire dépaver la banlieue sur la route de Rennes dans la longueur de 516 toises courantes, afin de faciliter le passage de l'artillerie et de ses munitions dont l’entrepôt et le magasin ont été au château de cette ville pendant les trois dernières années de la guerre.
Vous remontrâtes à M. de Ségur, ministre de la Guerre que ce dépavage avait rendu impraticable les abords du ruisseau de Pérouzel. Le sieur Piou à qui il fut ordonné de donner un devis des ouvrages qu’il convenait de faire pour le rendre viable, fut d’avis d’y faire construire un ponceau dont il porta la dépense à onze cent vingt-deux livres, dont M. de Ségur ordonna le payement sur les fonds de l’artillerie, comme vous le marque M. de la Bove par sa lettre du 24 octobre 1781.
Mais cette somme n’a point été délivrée, parce que, aussi économes des deniers du roi que de ceux de la communauté, vous jugeâtes que ce pont, par la nouvelle direction, pouvait devenir inutile ; et vous préférâtes de faire en pierre les abords du ruisseau de Pérouzel, empierrement dont vous fîtes les frais et que vous jugeâtes suffisant jusqu’au moment de l’entreprise des ouvrages d’après la nouvelle direction de nos banlieues.
Mais vous ne vous bornâtes pas à cette démarche ; comme le préjudice résultant du dépavage de la banlieue de Rennes fait par ordre du roi pour le passage de l’artillerie s’était également fait sentir dans les autres parties de la même banlieue avec danger pour les voyageurs et les voitures, vous en fîtes vos représentations aux États ; ils écoutèrent vos plaintes et ils y furent sensibles. Par délibération du 29 janvier 1783, ils chargèrent Messieurs les Présidents des Ordres d’écrire à Monsieur le Marquis de Ségur ainsi qu’à Monsieur Joli de Fleury, ministre des Finances et de les engager à représenter au Roi que cette ville ne pouvait supporter une dépense occasionnée par un cas extraordinaire où il s’agissait d’un service militaire et indispensable ; il était de la justice de Sa Majesté de pourvoir des fonds sur le Trésor royal au rétablissement de cette banlieue.
Conformément à vos demandes, Messieurs, les Présidents des Ordres ont écrit et ont demandé un secours ou une indemnité de dix mille livres. En réponse à leurs lettres, Monsieur le Marquis de Ségur a mandé à Messieurs de la Commission le 6 juin dernier, qu’il avait prié Monsieur de la Bove de faire constater par une juste évaluation la dépense qui peut concerner le Roi dans la reconstruction de la banlieue de Rennes.
Un autre objet d’indemnité que cette ville ose espérer de l’équité et de la bienfaisance du roi est l’empierrement superficiel de la banlieue sur la route d’Ernée, auquel la Communauté a été forcée de contribuer au mois d’août et de septembre dernier pour faciliter le transport des munitions et équipages d’artillerie ; il est certain que la durée de cet ouvrage ne peut être qu’éphémère et qu’il est parfaitement inutile à la direction de cette banlieue.
Cependant, Monseigneur de Caumartin de Saint-Ange, intendant actuel de cette province, vous mande, Messieurs, par sa lettre du 26 du mois dernier qu’il va donner ordre à l’ingénieur du département de se concerter avec vous pour faire remplacer le cordon de pierres des paroisses de Beaucé et de Fleurigné, employé à cet empierrement, et que vous devez d’autant moins vous y refuser que la dépense que vous aurez faite dans cette occasion sera un nouveau motif pour déterminer le gouvernement à vous accorder un nouveau secours pour l’exécution du nouveau plan des banlieues.
Chargé par vous, Messieurs, d’engager Monseigneur l’évêque de Rennes et Monsieur le Marquis d’Aubeterre d’employer leurs bons offices auprès de Messieurs les Ministres de la Guerre et des Finances pour obtenir l’indemnité que vous demandez pour la banlieue de Rennes, ils m’ont honoré l’un et l’autre d’une réponse: le premier, par sa lettre du 30 avril dernier, me marque qu’il a été charmé de vous avoir été utile aux derniers États et qu’il fera valoir vos représentations auprès de Messieurs les Ministres de la Guerre et des Finances ; le second vous annonce qu’aussitôt que le nouveau plan sera homologué, il se joindra à Monsieur l’Intendant pour solliciter le ministre de la Guerre à accorder quelques secours pour l’exécution de ce nouveau plan, sur tout quoi, je vous prie, Messieurs, de délibérer.
Lors de la séance du 5 novembre 1784, le maire informe ses collègues que l’ingénieur Piou a remis les plans tant attendus à l’Intendant le 22 octobre ainsi qu’un devis ramené à la somme de 60.806 livres et 10 sols. La communauté a dû dédommager les particuliers qui ont perdu la totalité ou partie de leur terrain, ce qui a rendu les banlieues en si mauvais état. Les expropriations semblent donc être commencées, cependant les ressources manquent pour poursuivre rapidement les travaux, de sorte que la Communauté décide de présenter une requête aux États de Bretagne afin d’être autorisée à se pourvoir vers Sa Majesté à l’effet d’obtenir des lettres patentes pour percevoir sur chaque barrique de vin qui entreront en cette ville quatre livres, sur celles de cidre, bière, hydromel et poiré, quinze sols ; sur chaque pot d’eau de vie, un sol et sur chaque pot de liqueur pareillement un sol.
Nous avons vu que l’ingénieur Piou avait ramené son devis à 60.000 livres ; la ville est pressée par la Commission parlementaire d’engager l’adjudication mais les fonds attendus n’arrivent pas. La communauté de ville s’en inquiète. On ne peut, dit-elle dans une délibération du 16 novembre 1784, sans de plus grands inconvénients, morceler l’adjudication d’un ouvrage, mais ne pouvant compter que sur une somme de 30.000 livres, il est impossible dans le moment actuel de procéder à une adjudication des dits ouvrages
Tout va enfin se décider au début de l’année 1785. En effet, lors de la séance municipale du 21 février 1785, le maire peut dire: J’aurai l’honneur de vous annoncer, Messieurs, que l’adjudication de la banlieue de Rennes a été faite à la Commission intermédiaire le 14 janvier dernier et que le Sieur Morel, entrepreneur de Rennes, en est resté adjudicataire pour la somme de soixante quatre mille deux cents livres.
Après quatre ans de démarches administratives, le projet se concrétisait, les travaux allaient pouvoir réellement commencer. Le chantier était difficile car il fallait faire sauter la roche, des problèmes techniques allaient se poser. Comme ce fut le cas au mois de juin 1785 lorsqu’il fallut délibérer sur la construction de ponts et le règlement du passage des ruisseaux et du Nançon.
Il se trouve deux ponceaux à construire sur cette banlieue, le premier sur le ruisseau de Pérouzel, le second sur le ruisseau de la Fontaine Dreulin, ce dernier pont étant établi sur une branche de la rivière du Nançon qui dans l’hiver ne laissa pas de fournir une quantité d’eau assez considérable, joint à plusieurs fontaines qui se réunissent à cette rivière et aux eaux qui dans les temps de pluie viennent du chemin de Folleville et s’y réunissent également. Il est donc nécessaire de donner à ce pont une ouverture suffisante pour le passage libre de ces eaux et éviter à ce moyen tous engorgements qui pourraient lui préjudicier et aux terrains voisins.. Et de discuter ensuite sur les dimensions de ces ponts.
Une autre délibération en date du 29 juillet 1785 statue sur la note de frais présentée à la Communauté de ville par l’ingénieur Piou pour les ouvrages et voyages qu’il a fait pour la Communauté depuis le 23 mars 1781 jusqu’au 2 juin dernier 1785, montant ensemble à la somme de 876 livres... et lui ont occasionné plus de six semaines de travail non compris les courses, les conférences et la correspondance qui ont eu lieu avant et depuis, qu’il n’a point tiré en ligne de compte et qu’il laisse à votre générosité.... La Communauté décide donc de payer les 876 livres demandés et, sous le bon plaisir de Monseigneur l’Intendant d’ajouter une somme de 124 livres en reconnaissance de son zèle pour la communauté, ses talents et ses lumières !
Les travaux se poursuivent. Nous apprenons dans la délibération du 21 octobre 1785 que « la Communauté a reçu avec attendrissement la nouvelle des 10.000 livres accordées par Sa Majesté, en nature d’indemnité des dégradations commises sur la banlieue de Rennes en 1780... »
(Émile Pautrel).
Tout arrive à qui sait attendre ! cet argent, on en a bien besoin, ce qui est confirmé par cette délibération: ... les travaux étant avancés et les besoins d’argent pressants, Monsieur le Maire, est prié de solliciter à nouveau la protection de Monseigneur l’Intendant afin d’obtenir de la justice et de la bonté du roi l’indemnité entière de 16.206 livres selon l’estimation faite par l’ingénieur.... Les 10.000 livres que l’on reçoit avec attendrissement ne sont en réalité qu’un acompte.
Ce secours permettra de finir une route plus courte pour Brest et (une) pour Saint-Malo, routes qui seront fort intéressantes surtout dans les temps de guerre, même en temps de paix pour le passage des troupes et dans tous les temps pour le commerce et pour les voyageurs. Il s’agit là d’une première approche d’un projet de prolongement du boulevard de Rennes qui éviterait la pente très accentuée de la rue de Rillé que l’on doit emprunter pour rejoindre la direction de Saint-Malo, mais on ne parle pas encore d’un raccordement au Faubourg Roger. C’est, sans aucun doute, la partie du boulevard de Rennes actuel, partant du bas de la rue de Rillé, qui rejoint le boulevard de Saint-Germain. Dans cette délibération, le Maire est également prié d’exposer à Monseigneur l’Intendant le besoin pressant d’argent pour continuer les travaux, en conséquence de le prier de faire délivrer les fonds au plus tôt par Monseigneur de Ségur, afin de les délivrer à mesure que les adjudicataires avanceront leur entreprise
En juin 1786, la plus grande partie du percement du Rocher Coupé semble pratiquement achevée ; les travaux se poursuivent sur les hauteurs de Bliche. C’est du moins ce que laisse penser la délibération du 12 juin, dans laquelle, suite à la demande de l’entrepreneur Morel, on statue sur la démolition d’une maison nécessaire à l’alignement de la nouvelle banlieue. Cette maison appartient au sieur Duval de l’Epinay, avocat à Fougères. Il est décidé de traiter avec lui de gré à gré. Deux membres de la communauté, Messieurs Poirier de la Gautrais et Lebouc de la Bouteillère sont chargés de trouver un accord avec le propriétaire pour son estimation. Duval veut bien accepter la somme de 400 livres à condition qu’il aurait les matériaux à disposition, mais il dit qu’il ne pouvait donner son consentement par écrit parce qu’il était obligé, pour des raisons particulières, de ne le pas faire à l’amiable.
Délibération du 13 août 1787
La ville ne pouvait accepter un tel marché, de sorte qu’elle dut demander à l’intendant de dépêcher sur place l’ingénieur Piou pour faire l’estimation officielle de cette maison.
Les travaux avancent au fur et à mesure de leur financement. Le 13 août 1787, le maire présente une lettre de l’Intendant au conseil dans laquelle ce dernier demande des comptes. Il y a longtemps, écrit-il, que le sieur Piou vous a fait passer l’état de l’entreprise de la banlieue de Rennes et a proposé de faire payer aux adjudicataires un nouvel acompte de 10.000 livres. Il demande en même temps un état de la caisse du miseur et jusqu’à concurrence de quelle somme les adjudicataires pourront travailler cette année.
Il reproche aussi à la Communauté le retardement mis dans les délibérations qui devaient être prises à cet égard.
Par ailleurs, le maire a reçu la visite du sieur La Crière, conducteur des travaux de l'entreprise qui se plaint de pas trouver assez de harnais pour charroyer la pierre de taille du pont de Pérouzel quoiqu’il dise avoir offert un prix raisonnable pour les charrois. On constate alors que ce pont, pendant la belle saison, n’est pas avantageux (qu’)aux seuls entrepreneurs, il l’est bien davantage pour le public qui ne pourrait profiter de la partie de la route nouvellement faite et qui, au contraire serait obligé de suivre l’ancienne que les déblais rendront impraticables dans la mauvaise saison. Et le conducteur de travaux de demander à ce que l’on veuille bien s’adresser à Monseigneur l’Intendant qu’il autorise la Communauté à commander 28 à 30 charrois pris sur les paroisses.
Délibérant la Communauté décide de payer aux entrepreneurs la somme de 10.000 livres suivant l’état de situation des dits ouvrages, de répondre à l’Intendant qu’il restera 6.000 livres dans la caisse du miseur et qu’elle peut compter encore sur au moins une pareille somme au premier janvier prochain, ce qui fera une somme de 22.000 livres sur laquelle les entrepreneurs peuvent compter. Quant aux harnais, on demandera à l’Intendant qu’il veuille bien délivrer une ordonnance qui enjoigne aux harnais des paroisses de Lécousse, Saint-Germain et Romagné, en tel nombre qu’il en sera besoin, de charrier la pierre de taille nécessaire pour la construction du pont de Pérouzel à raison de cinq sous par pied cube, prix que la Communauté croit suffisant.
Nous n’avons pas relevé de questions relatives au Rocher Coupé dans les délibérations de 1788. Les travaux se poursuivaient sans doute sans trop de problèmes. À la veille de la Révolution, en 1789, plusieurs délibérations municipales en font état.
C’est ainsi que le 29 mai 1789, on décide de répondre favorablement à la requête du sieur Lorfèvre des Préaux qui réclame le paiement de 36 pieds de terrain pris pour la nouvelle banlieue de cette ville à Rennes en déléguant trois représentants de la municipalité, M.M. Martin, Le Beschu de la Martais et Le Barbier, chargés d’examiner les lieux et de rédiger un rapport à la communauté sur le bien fondé de la demande.
On accède toujours au Rocher Coupé en passant par la Pinterie et le Pont de Rennes. Cette traversée de la ville, nous l’avons vu, n’est pas aisée. Si l’on a réglé le problème de la rue de la Fourchette et de la Porte Notre-Dame par l’ouverture du Pont de Rennes, la rue de la Pinterie est toujours bordée de porches et la Porte-Roger n’offre pas un très large passage.
Un arrêt royal pris en Conseil d’Ètat du 25 avril 1752 avait décidé que le chemin de Rennes devait passer par la rue du Bourg-Vieil et la rue de la Pinterie. En exécution de cet arrêt, on avait démoli les porches les plus gênants entre le collège et la ruelle menant à la prison.
Le 21 septembre 1789, la Communauté constate que la rue de la Pinterie ne se trouve rapide que parce que les propriétaires des maisons ont élevé considérablement leurs pavés et qu’il y a possibilité de donner à cette rue une pente douce et très praticable. Depuis l’arrêt du roi et la démolition des porches plusieurs particuliers ont élevé des édifices très considérables.
Le maire informe ses collègues qu’il a été prévenu par des voies indirectes qu’il avait été dressé un plan par l’ingénieur Piou suivant lequel on comptait faire passer la grande route hors les murs de la ville. Ce projet dont on parle pour la première fois devait conduite à la construction du futur Chemin Neuf qui reliera le Faubourg Roger au Rocher Coupé.
Cette nouvelle, officieuse, soulève un tollé général car le vœu général de tous les citoyens est qu’il (le chemin) y passe. Ce projet serait très préjudiciable à tous les propriétaires et aux commerces et la valeur des maisons de cette rue diminuerait excessivement si la ville était privée de ce grand chemin. Aussi convient-il de se renseigner sur le bien-fondé de cette information. La Communauté nomme pour commissaires, MM. Mabille, Fournel, Caillère, Binel de la Janière, Martin de la Métairie et Vaulevier, pour prendre tous renseignements nécessaires à l’effet de s’assurer si ce plan existe, après quoi, sur leur rapport en protestant, (on pourra) se pourvoir contre ce plan partout où besoin sera.
Nous verrons qu’effectivement ce projet sera repris en 1790 et qu’il aboutira à la construction du Chemin Neuf qui reliera le carrefour Saint-Jean (la Place Gambetta) au bas de la rue de Rillé.
Une autre délibération du 7 octobre 1789 nous apprend que toutes les obligations relatives à l’entreprise du sieur Morel n’ont pas été remplies à cause des changements apportés au devis de l’ingénieur Piou. Le 12 novembre suivant, Piou prévient le maire que l’Intendant lui a transmis une requête des entrepreneurs afin qu’un état de la situation des travaux soit dressé de manière à ce qu’ils soient payés. L’ingénieur réclame la présence du maire pour assister à cette réception de chantier.
En 1790, une réclamation d’un riverain près de l’Intendant entraîne une délibération de la Communauté le 14 avril. En effet, Jean Brault, propriétaire de la prairie de Bliche demande à ce que le vieux chemin situé près de cette prairie lui soit octroyé en dédommagement de la perte que la nouvelle route lui a occasionnée. Sur le rapport des commissaires délégués par le corps municipal qui se sont rendus sur place, celui-ci consent qu’il soit permis audit Brault de clore et de réunir à sa prairie l’ancien chemin à la condition qu’il laisse subsister le lavoir qui existe actuellement au coin de la prairie, à l’extérieur si mieux il n’aime le transférer dans un autre endroit qui lui sera moins incommode et qui lui sera indiqué par la municipalité.
Les travaux de la nouvelle route semblent s’achever en 1790, car les administrateurs du département, le 23 août 1790, demandent que toutes les pièces relatives aux travaux de l’entrepreneur Morel lui soient adressées et que le maire assiste à la réception des travaux et à la vérification de tous les ouvrages faits sur la banlieue de Fougères à Rennes contradictoirement avec l’entrepreneur, en présence des commissaires du District.
Le 23 septembre 1790, une délibération nous apprend que Louis Morel a demandé à ce que l’ingénieur Piou soit récusé par le District de Fougères pour faire partie de la commission chargée de la réception des travaux. Par ailleurs, dans le cas où différents travaux s’avéraient nécessaires, le concours de Piou est jugé fort coûteux pour la municipalité alors que l’on a l’avantage de trouver dans la ville les entreprises capables de les conduire.
Suite à cette visite, le 11 décembre 1790, les officiers municipaux Le Mercier des Alleux et Caillère font à la communauté, le rapport suivant:
Vous nous avez nommés commissaires pour assister à la visite de la banlieue de cette ville à Rennes et requise par les sieurs Morel et Leroux adjudicataire de la réparation de cette banlieue qui s’est exécutée les 6, 7, 8 et 9 de ce mois par le sieur Besnard, ingénieur en chef et inspecteur des Ponts et Chaussées de France, en présence desdits Morel et Leroux, adjudicataires, du sieur Piou, ingénieur, et de M. Blot, l’un des administrateurs du District de Fougères, nommé par le Département de l’Isle et Vilaine.
Nous constatons que l’ingénieur Piou est présent, ce qui semble tout à fait logique puisque c’est lui qui était chargé de mener à bien les travaux et de surveiller le travail des adjudicataires. Mais, peut-être, les relations entre Piou et Morel n’étaient-elles pas des meilleures.
Nous avons assisté à cette visite et y avons remarqué entre autre chose que par l’article 19 du devis des ouvrages à exécuter sur cette banlieue de Fougères à Rennes par les sieurs Morel et Leroux dressé, par le sieur Piou le 15 octobre 1784, l’entrepreneur doit former les glacis de terre de déblais sur une pente de 3 pouces par pied, quoique l’article 14 du même devis semblait annoncer que ces mêmes glacis dans les terres déblayées, comme ceux des terres remblayées, devaient être formés sur un angle de 55 degrés, qu’il a (l’entrepreneur) rempli les conditions de cet article 19, et a formé les pentes de ces glacis sur trois pouces par pied... avons aussi remarqué que ces pentes de trois pouces par pied ne sont pas suffisantes pour les terres, comme vous l’a remontré l’adjudicataire par sa requête du mois d’août dernier; que le défaut de pente a fait tomber partie des terres du glacis dans les rigoles, lesquelles sont en différents endroits comblées ; pourquoi l’entrepreneur vous demandait par sa requête que vous eussiez fait enlever ces terres éboulées dans les rigoles ou lui accorder une indemnité pour cet objet.
Le sieur Besnard, par le procès-verbal des dits jours 6, 7, 8 et 9 de ce mois, déposé au District, a décidé que l’entrepreneur avait fait ce qu’il devait en ayant coupé les glacis à trois pouces par pied, que cette pente n’était pas suffisante dans les terres déblayées, qu’elle devait être augmentée de cinq pouces par pied au-delà des trois qu’on a donnés.
Par le profit que ces opérations doivent être faites par un marché particulier et par augmentation de prix au profit de l’entrepreneur. Il fait monter cet ouvrage à 422 toises, 3 pieds, 8 pouces qu’il estime à 4 livres 10 sols la toise, ce qui donne 209 livres 14 sols.
Nous avons remarqué que l’entrepreneur de notre nouvelle route a versé à côté du sommet des glacis les terres qu’il a extraites de ses déblaiements ; que le sieur Besnard, dans son estimation n’a point fait article du transport qu’il sera nécessaire de faire de ces terres sur les pièces voisines.
La Municipalité ne peut se dispenser de faire faire ces ouvrages, soit par adjudication ou par économie. Ils sont pressants ces ouvrages puisqu’ils sont en partie cause du renvoi que le sieur Besnard a fait jusqu’au printemps prochain de la demande de recevabilité formée par l’entrepreneur par ces diverses requêtes.
Les Commissaires vous observent, Messieurs, que plusieurs particuliers ont pris des terres en différents endroits des rigoles et y ont fait des cavités considérables qui font ébouler les glacis supérieurs ; d’autres qui possèdent des terres voisines, pour ne pas faire de ponceaux sur les rigoles, éventrent le bord de ces rigoles et font tomber les terres au fond, ce qui les bouche et arrête le cours des eaux ; d’autres, voyant les terres de remblai s’évaser sur leur terrain pour former les glacis coupent le pied de ces talus et rejettent les terres sur les sommets, ce qui élève le bord des banquettes, y fait séjourner les eaux et rend ces mêmes banquettes impraticables. Il est donc nécessaire de faire défense à tous particuliers de prendre des terres dans les rigoles, de casser le bord des banquettes et aux autres de les recharger.
Comme on le voit, le chantier est bien mal surveillé, puisque chacun peut se servir en terre à sa guise ou y faire des dégradations en toute impunité.
Après cette constatation, le Conseil de la commune délibérant sur la remontrance de Messieurs le Maire, Caillère et des Alleux, après avoir entendu le procureur de la commune, leur a donné acte de leur remontrance et d’une copie du procès-verbal de Monsieur Blot, administrateur du District, nommé commissaire pour assister à la visite de la banlieue de Rennes des 6, 7, 8 et 9 de ce mois par le sieur Besnard, ingénieur en chef, inspecteur général des ponts et Chaussées de France, expert nommé par le département à la visite de ladite banlieue, et après en avoir en lecture, approuve le compte qu’ils en ont rendu, et prend en considération leurs observations ; fait défense à tous particuliers, voisins de ladite banlieue d’endommager d’aucune manière les glacis et banquettes, leur enjoignant d’établir des ponceaux ou rampes pour le service particulier de leur propriété.
Et à l’égard de l’escarpement de cinq pouces par pied au-delà de trois pouces portés dans le profil, sur lequel les talus des terres déblayées devaient être établis ; comme cet objet est d’utilité publique qui n’intéresse pas uniquement la ville de Fougères, le Conseil est d’avis de renvoyer ce même objet à l’administration du District et celle du Département pour avis en ce qui leur paraîtra convenable et de joindre les observations pour démontrer à ces deux pouvoirs administratifs que les dépenses indiquées pour ledit procès-verbal ne peuvent être à la charge de la ville et pour faire ces observations, nomme commissaire Messieurs Le Mercier et Caillère.
Des travaux restent donc encore en suspend. Un arrêté du département d’Ille-et-Vilaine relatif à l’enlèvement des déblais à faire conformément à un procès-verbal des 6, 7 et 8 décembre 1790, autorise la municipalité à passer un marché au rabais pour l’exécution de ce travail qui concerne 422 toises, 3 pieds et 5 pouces de déblais et qui est estimé à 2191 livres.
Pour effectuer ce travail, dans une délibération du 19 mars 1791, le maire précise qu’il se présente journellement des ouvriers pour être employés à l’atelier de charité et que l’humanité l’a porté ainsi que M. Le Roux, directeur des ouvrages, à les admettre. La municipalité est autorisée à dépenser 900 livres pour leur emploi, aussi autant donner du travail pour ce prix à tous ces ouvriers dont le nombre est considérable, en les employant à déblayer la terre de la banlieue de Rennes.
Au lieu de procéder à une adjudication, le maire pense, avec raison qu’il y aurait un parti citoyen à prendre sans exclure tous ces malheureux, qui serait de les admettre aux travaux, c’est-à-dire que sur le nombre de 120 ouvriers actuellement occupés, il n’y en aurait que 60 par semaine alternativement à travailler.
La Municipalité arrête alors que M. Le Roux ne devra admettre les ouvriers à l’atelier de charité qu’un jour sur deux, à cause de la disette de la caisse altérée par les sacrifices que la municipalité a fait avec l’autorité du département pour la subsistance de malheureux que les circonstances ont laissé sans travail et sans ressources.
Quant à l’entrepreneur Morel, il a bien du mal à se faire payer de son ouvrage et réclame un acompte de 4000 livres sur les sommes qui lui sont encore dues.
Suite à cette requête, la municipalité fougeraise ne répondra que le 7 mai 1791. Entre temps, elle a envoyé des membres du bureau de la municipalité vérifier et approuver le travail. Il est décidé de verser une somme de 1575 livres, 123 sous et 6 deniers à Morel comme acompte sur la somme de 7.993 livres et 13 sols que la municipalité reconnaît encore devoir à l’entrepreneur, acompte qui ne sera réellement effectif que le 2 juillet suivant. Nous verrons que le pauvre Morel n’est pas au bout de ses peines et que, finalement, on peut même se demander s’il fut intégralement payé de son ouvrage.
Le 11 juin 1791, la délibération nous apprend que le sieur Morel a demandé aux autorités du département de faire vérifier les ouvrages réalisés par un expert. Le choix se porte sur M. Besnard, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la ci-devant province de Bretagne ; on adjoint aussi à l’ingénieur les sieurs Caillère et Le Mercier des Alleux, membres de la municipalité.
Monsieur Besnard est en voyage à Paris, c’est du moins ce que précise une lettre adressée le 19 juin à la municipalité par Madame Besnard et présentée à l’assemblée municipale le 25, dans laquelle elle dit que son mari sera de retour la semaine prochaine et qu’il procèdera à l’examen que vous demandez. Nous apprendrons dans la délibération suivante que l’ingénieur Besnard refusera la mission.
La délibération du 2 avril 1792 concerne la réception des ouvrages réalisés:
M. le Maire vous représente, Messieurs, que le corps municipal délibérant sur la requête présentée le 7 juillet dernier à Messieurs les administrateurs composant le Directoire du département de l’Isle et Vilaine par le sieur Louis Morel, entrepreneur des ouvrages à faire sur la banlieue de Fougères à Rennes, arrêta que la dernière réception de ces ouvrages ne pouvait avoir lieu qu’au mois de novembre 1793, temps auquel seront écoulées les deux années pendant laquelle, à compter de l’époque de leur première réception, il doit entretenir la garantie des ouvrages, suivant la condition portée en l’article 42 du devis du 15 octobre 1784.
Le sieur Le Roux, caution du sieur Morel et agissant pour lui, vient de réclamer verbalement contre les dispositions du dit arrêté ; il a fait valoir au soutien de sa réclamation des motifs que votre humanité et votre justice ne peuvent l’empêcher d’accueillir. Le 3 mai 1791, le sieur Morel présenta au Directoire du département une requête tendant à obtenir qu’il fut procédé à la visite des ouvrages exécutés par lui sur la banlieue de Fougères à Rennes ; ce Directoire, par son arrêté du 6 juin suivant ordonna que la municipalité de Fougères et le sieur Morel nommeraient chacun un expert pour procéder à la visite demandée par ce dernier. Le corps municipal mis sa confiance en le sieur Besnard, inspecteur général des Ponts et Chaussées, et par une lettre en date du 16 juin le pria de l’accepter. La dame Besnard, en l’absence de son mari, répondit le 19 du même mois qu’il était pour lors à Paris, qu’il arriverait incessamment et qu’il se chargerait de la commission que lui offrait la municipalité.
Le sieur Besnard, par sa lettre du 6 octobre suivant nous fit connaître qu’il ne pouvait plus se charger des opérations que le corps municipal avait bien voulu lui confier. Le corps municipal choisit alors pour son expert le sieur Guillard, ingénieur des Ponts et Chaussées et lui écrivit. Il accepta et répondit qu’il arriverait à Fougères le 3 novembre et qu’il commencerait le lendemain les vérifications demandées par le sieur Morel. Le procès-verbal du 4 novembre et jours suivants vous a fait connaître que les ouvrages exécutés par le sieur Morel sur la banlieue de Fougères à Rennes étaient en état d’être reçus pour une première fois. Si la seconde réception de ces ouvrages demeurait fixée au mois de novembre 1793, il s’en suivrait que l’entrepreneur serait obligé de les entretenir et garantir pendant trente mois au lieu de deux années.
La première réception de ces ouvrages a été retardée de six mois par des causes dont le sieur Morel ne doit pas être victime, mais il ne saurait exiger qu’elle soit reportée à une époque antérieure au 3 mai 1791, puisque le procès-verbal des 6, 7, 8 et 9 décembre 1790 a constaté que ces ouvrages ne pouvaient alors être reçus pour une première fois.
Veuillez, Messieurs, vous faire donner lecture des pièces relatives à l’entreprise du sieur Morel en prenant en considération la réclamation du sieur Leroux, arrêtez définitivement l’époque à laquelle le sieur Morel pourra leur accorder sa seconde réception des ouvrages exécutés par lui sur la banlieue de Fougères vers Rennes.
Le corps municipal ne prend pas position et après lecture des pièces relatives à l’entreprise et après avoir entendu les réclamations faites de vive voix par le sieur Le Roux, présent renvoie le dossier au procureur de la commune afin qu’il y apporte ses conclusions dans le plus bref délai qui lui sera possible.
La réception définitive des travaux n’ayant pas eu lieu, l’entrepreneur Louis Morel, continuait d’attendre ses sous ! D’ailleurs, il s’impatiente... il s’impatientera encore longtemps.
Un an après, le 11 avril 1793, Louis Morel envoie une pétition à la municipalité fin d’être déchargé de son ouvrage et que lui soient payées les sommes qui lui sont dues. Le procureur de la commune charge les membres du Bureau municipal de lui présenter sans délai un projet d’arrêté sur la dite requête.
La dernière réception des travaux traîne toujours. De plus, à Fougères, l’année 1793 reste marquée par les révoltes paysannes du mois de mars et les passages de l’Armée Catholique et Royale (les Vendéens), justement au mois de novembre, époque prévue pour la réception définitive du Rocher Coupé.
Tout est désorganisé et la municipalité fougeraise à d’autres soucis que celui de cette nouvelle route qui est ouverte depuis un certain temps déjà à la circulation. Aussi laisse t-elle en suspend le règlement administratif du dossier.
En désespoir de cause, le pauvre Morel adresse sa pétition aux administrateurs du département d’Ille-et-Vilaine, comme nous l’apprend la délibération municipale du 9 messidor an II (28 juin 1794):
Vu la pétition présentée le 23 frimaire dernier aux citoyens administrateurs du département d’Ille-et-Vilaine par le citoyen Louis Morel, entrepreneur des ouvrages faits sur la banlieue de Fougères à Rennes...
...Le conseil général de la commune après avoir entendu le citoyen Patard, agent national provisoire, considérant que la première réception des ouvrages faits sur la banlieue de Fougères à Rennes par le citoyen Morel a eu lieu le 4 novembre 1791 et jours suivants ; que la seconde et dernière réception à laquelle on aurait du procéder au mois de novembre dernier, vieux style, a été nécessairement jusqu’à ce moment retardée par les troubles qui ont affligé et affligent encore le District de Fougères, déclare qu’il est d’avis qu’il fut incessamment procédé à la dernière réception de ces ouvrages par le citoyen Roulin, ingénieur des Ponts et Chaussées qu’il nomme son expert à cet effet (Guillard, précédemment désigné n’a donc jamais rempli son office) et par celui que le dit Morel choisira et ce en présence des citoyens Le Mercier et Brochet, officiers municipaux, et que les dits experts estiment les dégradations qu’ont pu souffrir les dits ouvrages depuis le mois de novembre dernier, pour que le dit Morel ne puisse en être jugé responsable, et quand au paiement de la somme de 6420 livres qui sera due audit Morel pour solde du prix de son adjudication des 14 et 18 janvier 1785, vieux style, quand il aura justifié en avoir rempli toutes les obligations, qu’il sera renvoyé vers le directeur général de la Liquidation, conformément à l’article 85 de la susdite loi relative à la consolidation de la dette publique non viagère.
Le Conseil général déclare en outre qu’il ne peut joindre au présent avis les pièces relatives à l’entreprise dudit citoyen Morel parce qu’elles ont été détruites par les brigands de la Vendée lors de leur première invasion dans la commune de Fougères.
Les pièces du dossier ont été perdues... voici qui ne va pas arranger les affaires de l’entrepreneur qui devra, s’il veut récupérer ce qui lui est dû, engager une procédure administrative en janvier 1806, quinze ans après l’achèvement du boulevard!
C’est une délibération municipale du 3 février 1806 qui en rapporte l’historique:
Monsieur le Maire a donné communication au Conseil:
1°) d’une pétition présentée le 21 janvier dernier à Monsieur le Préfet par le sieur Morel, entrepreneur des Ponts et Chaussées et tendant à obtenir sur la caisse de l’octroi de Fougères le payement d’une somme de 6420 livres pour le dernier dixième du prix des ouvrages entrepris sur la banlieue de Fougères à Rennes dont le dit sieur Morel demeura adjudicataire le 15 janvier 1785 et qu’il dit avoir terminé en l’année 1789 »
2°) d’un certificat en date du 18 ventôse an 13 de M. Aufray, ingénieur en chef du département, attestant que la dite somme de 6420 livres reste due au sieur Morel pour liquidation finale de son entreprise.
3°) et enfin de la lettre d’envoi en date du 25 janvier dernier, adressée par M. le Sous-Préfet à M. le Maire qui est invité à donner son avis sur les réclamations du sieur Morel et à l’aider pour cela des lumières du Conseil.
La municipalité constate d’abord qu’elle n’est plus compétente pour régler cette affaire, puisque de par la loi, la nouvelle route est devenue route Nationale. C’est donc, et cela est cohérent, à l’Ètat de payer. D’ailleurs cette route a déjà été financée en partie par le Trésor public:
Sur quoi le Conseil délibérant s’étant fait préalablement représenter la délibération de la commune de Fougères du 9 messidor an II qui est citée dans la pétition du sieur Morel, celle du 12 novembre 1789, celle du 11 juin 1791 et plusieurs autres, a été unanimement d’avis de s’en référer en tout état de cause à la délibération précitée du 9 messidor an II laquelle se fondant sur la loi des 15 et 24 août 1793 qui, d’une part, réunit au Trésor public (art.90,91 et 92) l’actif des communes et, de l’autre, déclare (art. 82) que leurs dettes sont dettes nationales, renvoyait, conformément à l’article 85 de la dite loi, le sieur Morel se pourvoir en tant que de raison, devant le liquidateur général de la dette publique.
Et en effet, la communauté de ville de Fougères ayant été dépouillée, par la dite loi, de ses revenus et de ses créances sur l’Ètat, de ses immeubles même dont quelques uns, tel que le collège, ont été irrévocablement vendus, n’était-il pas aussi de toute justice qu’elle fut dispensée de payer des dettes que la perte de son actif lui avait ôté les moyens d’acquitter.
En supposant que la créance du sieur Morel fut légitime, elle était plus qu’aucune autre dans le cas d’être rejetée sur le Trésor public puisqu’elle était relative à des réparations de grandes routes plus importantes encore sous le rapport de l’utilité générale que sous celui de l’intérêt particulier de la ville de Fougères. Cette vérité avait été, dans tous les temps, si bien sentie que les acomptes payés précédemment au sieur Morel sur le prix de son entreprise avaient été en partie fournis déjà par le Gouvernement ou par les ci-devant États de Bretagne.
La municipalité reproche à l’entrepreneur de ne pas s’être adressé à l’Ètat pour se faire payer et dégage sa responsabilité:
Une voie était ouverte au sieur Morel pour faire reconnaître, s’il y avait lieu, sa créance comme dette nationale et pour en obtenir, à ce titre, la liquidation. S’il a négligé de remplir à cet effet les formalités prescrites par la loi, la ville de Fougères ne peut, en aucun cas, demeurer responsable de cette omission.
Puis, elle examine le bien fondé de la réclamation, recherchant les pièces administratives qu’elle ne trouve pas. La Municipalité avait pourtant reconnu qu’elles avaient disparues au moment du passage des Vendéens, mais en 1806, cet épisode fougerais semble être sorti de la mémoire des élus.
Après avoir envisagé sous ce point de vue la réclamation du sieur Morel, le Conseil n’a pas regardé comme inutile d’examiner si elle paraît en elle-même fondée sur des titres bien admissibles.
Il s’étonne d’abord que le sieur Morel ne produise à l’appui de sa demande ni son adjudication accompagnée du devis des ouvrages à exécuter, ni le procès-verbal de la réception entière et définitive de ces ouvrages.
Enfin, la municipalité s’interroge sur les dires de Morel et notamment sur la date d’achèvement des travaux que l’entrepreneur voudrait voir effective en 1789, alors qu’en 1791, la réception n’en était pas encore faite:
Certes, avant de solder entre ses mains le prix de son adjudication, il importe de constater s’il a fidèlement rempli toutes les clauses.
Le procès-verbal de l’adjudication du sieur Morel et les pièces y relatives auraient dû sans doute être servies à la Communauté de ville de Fougères dès le commencement des travaux, mais elles ne l’avaient point été, et ce qui le prouve c’est que la dite communauté arrêta le 2 septembre 1789 d’écrire à la Commission intermédiaire des États de Bretagne pour demander enfin communication de ces pièces. On ignore si cette demande eût quelque succès.
Le sieur Morel avance dans sa pétition que les ouvrages entrepris par lui furent terminés en l’année 1789, mais il s’en faut encore de beaucoup que cette assertion soit prouvée.
Le 12 novembre 1789, sur la demande du sieur Morel, une Commission composée de MM de la Gautrais, Binel, Caillère et Chauvin fut, à la vérité, nommée par la Communauté de ville de Fougères pour prendre connaissance de la situation où se trouvaient alors les travaux de la banlieue de Rennes ; mais ces commissaires descendus sur les lieux ne pensèrent nullement que les ouvrages fussent recevables et ne croyant pas, en conséquence, devoir rapporter de procès-verbal, ils ajournèrent cette mesure jusqu’au moment où l’entrepreneur se serait mis plus en règle.
On trouve dans les registres de la municipalité que le 11 juin 1791, une nouvelle Commission composée de MM. Besnard, Caillière et Le Mercier des Alleux, fut chargée de faire la vérification de l’état des ouvrages. Ce fut probablement cette commission qui, le 4 novembre 1791, fit le rapport dont il est mention dans la délibération de la commune du 9 messidor an II, mais le Conseil ne connaît point ce rapport dont il ne trouve aucune trace sur les registres de la municipalité. Il n’y a point eut de procès-verbal de réception postérieur à ce rapport, et s’il est pour le sieur Morel un titre irrécusable, pourquoi s’abstient-il de le produire?
Le Conseil Municipal remet aussi en cause la qualité des travaux:
Le Conseil fondé à croire qu’à l’époque dont il s’agit, les clauses de l’adjudication n’étaient pas encore complètement remplies, l’inspection des lieux donne encore à connaître. La route devait sans doute descendre par une pente uniforme depuis la hauteur de Bliche jusque près de la Poterne, mais il s’en faut bien qu’il en soit ainsi, la Rampe est évidemment trop haute à la traversée du Champ du Lion ; elle est trop basse, au contraire, au-dessus du petit pont de la Couarde, et il paraît que ce pont n’a pas reçu assez de longueur pour permettre aux remblais qui le surmontent d’atteindre à la hauteur convenable ; une partie de la Rampe est dépourvue d’empierrement et il est probable que l’intention première était cependant qu’il en fut pratiqué un dans toute sa longueur.
Compte tenu de toutes ces considérations, le Conseil conclut sa délibération en disant:
1°) que le sieur Morel n’a pas prouvé par titres admissibles que la somme de 6420 livres lui est due,
2°) que dans le cas même où sa créance semblerait légitime, c’est au Gouvernement et non point à la ville de Fougères qu’il aurait dû et qu’il devrait encore s’adresser pour en obtenir le payement », et arrête que copie de la délibération sera adressée au Sous-Préfet.
Qu'en advint-il exactement? L’entrepreneur Morel put-il se faire régler sa note? Après cette fin de non recevoir de la municipalité fougeraise, les délibérations municipales n’en font plus écho.
Le Chemin Neuf
Après le percement du Rocher Coupé qui reliait Bliche au bas de la rue de Rillé, si l’on avait résolu le problème du passage de la route de Rennes par la rue des Fontaines, on était toujours obligé de gravir la rue de la Pinterie en passant par le pont de Rennes pour rejoindre la route de Paris.
Dès cette époque, on avait projeté de réunir le bas de la rue de Rillé à l’entrée du faubourg Roger, mais les événements de la fin du siècle avaient empêché de mener à bien cette entreprise. Déjà, en effet, en 1789, la Communauté, nous l’avons vu s’inquiétait d’une information officieuse qui laissait entendre que l’ingénieur Piou avait prévu un plan suivant lequel on comptait faire passer la grande route hors les murs de la ville. Après la Révolution, le projet fut remis à l’ordre du jour, notamment en 1801, où une pétition fut adressée au Ministre de l’Intérieur.
Mais revenons aux premiers projets de construction de cette nouvelle voie qui devait prolonger le boulevard de Rennes (le Rocher Coupé) jusqu’au Faubourg Roger (Place Gambetta), et notamment à la délibération municipale du 11 décembre 1790 qui, la première, présente des plans réalisés par Rallier.
Monsieur le Maire a l’honneur de vous présenter, Messieurs, un plan et un mémoire que lui a remis M. Rallier et qui sont relatifs au projet de faire aboutir la route de Rennes soit au carrefour de la rue du Faubourg-Roger avec la rue des Prés, soit à la Petite Douve en longeant la tour Saint-Jacques et l’hôtel Bélinaye.
Le premier de ces moyens a été proposé il y a déjà longtemps par M. Piou, mais le second paraît plus économique. Les avantages et inconvénients de chacun sont discutés dans le mémoire de M. Rallier. Il sera nécessaire, Messieurs, de se décider pour l’un ou pour l’autre de ces projets si, comme de fortes raisons semblent l’exiger ou renoncer au parti de faire passer la route de Rennes par la rue de la Pinterie. Un des avantages de la route proposée est de pouvoir y embrancher facilement, comme le plan l’indique, les routes de Saint-Malo et d’Avranches.
Voici donc dessiné par Rallier, en 1790, le boulevard de Rennes actuel. Le boulevard de Saint-Germain qui le rejoint ne fut crée que vers 1850.
C’est une chose reconnue depuis longtemps, poursuit le Maire de Fougères, et avouée de tout le monde, que plusieurs communications importantes seraient considérablement raccourcies si elles passaient par Fougères, mais elles n’ont pu le faire jusqu’à présent à cause du mauvais état des banlieues de cette ville.
Il serait donc très avantageux, non seulement pour la ville de Fougères, mais pour l’Ètat en général que nos banlieues deviennent plus viables et plus commodes. Au reste, Messieurs, la caisse de cette municipalité, épuisée par la confection d’une nouvelle portion de route depuis Bliche jusqu’à la rue de Rilley, par un grand nombre d’autres dépenses et pour le peu de produit actuel de ses octrois, ne pourrait y suffire à elle seule à la nouvelle dépense que l’on propose, ni trouver même peut être, en ce moment, les moyens d’y contribuer.
Il est donc important, Messieurs, de mettre sous les yeux de Messieurs les Administrateurs du département et l’utilité du projet et l’impuissance où nous sommes de l’effectuer, afin qu’ils aient recours, s’il se peut, à d’autres moyens et qu’ils obtiennent même de faire entreprendre, sur les fonds de l’Administration générale des Ponts et Chaussées, un ouvrage dont le Gouvernement et la France entière ressentiront les avantages.
Quant aux travaux à réaliser, ils sont bien entendu prévus par Rallier; ils sont détaillés dans la délibération:
On peut distinguer la dépense à faire en quatre articles principaux:
1°) terres à déblayer et à transporter
2°) empierrement à faire
3°) un pont à construire sur la rivière du Nançon
4°) indemnités à payer pour les terrains où passera la route.
Il sera peut-être nécessaire, Messieurs, que vous fassiez dresser des devis estimatifs de chacun de ces articles et surtout que d’après des nivellements et tracés faits avec soin, vous fassiez déterminer sur les lieux d’une manière précise les terrains pour lesquels il sera dû des indemnités.
Il serait à désirer que dans les mouvements de terre à faire, il se trouva quelque partie où l’on put sans inconvénient établir dès cet hiver des ateliers de charité, mais sur cela, il y a une observation importante à faire.
Les mouvements de terre les plus difficiles et les plus chers sont ceux que l’on est obligé de faire en remontant de bas en haut, et pour éviter autant qu’il est possible d’en avoir à faire de cette espèce, il faudrait que les remblais les plus bas fussent faits d’abord avec les parties les plus basses des déblais, de manière que l’on réservât à la fin, pour les remblais supérieurs, les parties les plus hautes des déblais.
Il résulte de ce principe que le mieux serait ici de commencer les mouvements de terre vers le pied du coteau de Rilley et de réserver pour la fin de l’ouvrage les déblais de la Petite Douve et autres quartiers élevés. Monsieur Rallier suppose dans son projet que le pont à construire sur la rivière du Nançon serait élevé avec le remblai à 25 pieds au-dessus de la superficie ordinaire des eaux de cette rivière et qu’on y arriverait du côté de cette ville par une pente de 6 pouces par toise. Cette pente pouvant paraître un peu trop forte, il serait peut être avantageux de l’adoucir en portant par exemple la hauteur du pont de 25 à 30 pieds.
Vous êtes priés, Messieurs, de prendre en considération de tous ces objets et d’en délibérer.
Finalement le Conseil municipal, après avoir recueilli l’avis du procureur de la commune, ne décida rien vu l’importance de l’objet Il invita M. Rallier à fournir également les plans du nivellement qu’il a fait des rues de la Pinterie et du Bourg-Vieil lors d’une prochaine réunion. On se souvient en effet, qu’un projet d’adoucissement de la pente de la Pinterie avait été envisagé.
Lors de la séance du Conseil municipal du 12 novembre 1791, le maire présente une lettre adressée le 7 novembre par M. Le Breton, député à l’Assemblée nationale, dans laquelle il demande des explications et un mémoire précis afin d’obtenir le passage du courrier par Fougères et la confection de la grande route du bas de Rillé à la petite douve
Le lendemain, 13 novembre 1791, avait lieu le renouvellement de la municipalité fougeraise. Les suffrages désignaient Nicolas Lesueur maire de Fougères.
À la suite de la demande du député Lebreton, lors de sa séance du 10 décembre 1791, la municipalité après avoir eu lecture du mémoire rédigé par M. des Alleux et entendu M. le Procureur de la commune, approuve ce mémoire et arrête qu’il en sera fait trois exemplaires, l’un pour l’assemblée nationale et les deux autres pour les administrations du département et du district La municipalité ne néglige donc pas les possibles appuis pour faire aboutir son projet.
Ce projet de chemin neuf semble avancer si l’on croit la délibération du 7 juillet 1792 dans laquelle il est fait état de son alignement et d’un différend avec le propriétaire d’un terrain concerné.
En cet endroit, M. des Alleux, commissaire désigné par délibération du 30 juin dernier pour donner un alignement au sieur Morel, a déposé sur le bureau un procès-verbal et une lettre du sieur Routin, ingénieur, sur lesquels il vous prie de délibérer...
Le Corps municipal après avoir entendu M. le procureur de la commune et avoir pris communication des pièces dont il est cas, considérant que partie du terrain du sieur Morel doit être employé dans le plan de jonction qui incessamment doit avoir lieu de la grande route de Paris à celle de Rennes, Saint-Malo et autres ; que ce plan exécuté, l’alignement sera du nombre de ceux attribués par le décret du 6 septembre 1790 aux corps administratifs...
En conséquence, renvoie le dit sieur Morel se pourvoir vers MM les administrateurs tant pour l’alignement par lui réclamé que pour toutes ses autres prétentions, et pour le mettre en état de statuer, arrête que copie de la requête du sieur Morel avec le procès-verbal de M. Le Mercier et de la lettre du sieur Routin, leur sera adressée avec une expédition de la présente, et au sieur Morel. Au surplus, arrête que les arrêts du Conseil d’Ètat du roi de 1751 et 1763 seront de nouveau lus et publiés au son des tambours afin que personne n’en ignore
Les événements et les désordres révolutionnaires allaient stopper les travaux. Ce ne sera qu’en 1801 que, de nouveau, on s’activera à réaliser la jonction de la route de Paris à celle de Rennes.
Lors de la séance du 15 pluviôse an 9 (4 février 1801), le maire interpelle le Conseil: ... mais, citoyens, vous avez un autre devoir à remplir, celui de délibérer sur les besoins locaux de la commune.... et de citer la perception des octrois avec plus de régularité..., avant de poursuivre: ... un autre objet, non moins important, et pour l’intérêt public et pour celui de la commune, c’est que la route de Paris à Brest, placée par l’arrêté du 25 nivôse au rang de route de 1ère classe, que cette route semblant être décidée par Fougères, il serait bon de mander l’achèvement de la nouvelle route et d’insister surtout pour la réparation des banlieues de Fougères...
Quelques jours plus tard, le 29 pluviôse an 9 (18 février 1801), le sujet est largement abordé au conseil municipal et une pétition tendant à obtenir du Gouvernement la décision finale est l’ordre du jour:
Le Président donne lecture à l’assemblée d’un projet de pétition tendant à obtenir du Gouvernement qu’il veuille ordonner que par les ingénieurs des Ponts et Chaussées du département, il soit incessamment procédé au tracé de la jonction de la banlieue de cette commune du côté de Rennes avec celle qui conduit à la route d’Ernée et au devis estimatif des ouvrages à construire et des indemnités à accorder ; qu’il veuille assigner les fonds nécessaires à la confection desdits ouvrages sur le produit de la taxe d’entretien des routes conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi du 14 brumaire an 7
Le Conseil municipal, considérant que la jonction desdites deux banlieues est de la plus grande importance pour la ville de Fougères et pour l’arrondissement communal dont les différentes parties ne pourront communiquer entre elles tant que la dite jonction ne sera pas effectuée ; que la commune de Fougères aidée par l’ancien gouvernement a fait les plus gros sacrifices pour payer les travaux exécutés sur la banlieue de Rennes, que ces sacrifices deviendraient à peu près inutiles si cette dite banlieue de Rennes n’était pas réunie à celle d’Ernée,
Arrête que la susdite pétition sera adressée au Ministre de l’Intérieur par l’intermédiaire du Sous-Préfet de l’arrondissement et du Préfet du département, lesquels sont invités à l’appuyer de leur avis respectif ; arrête encore qu’elle sera transcrite sur le présent registre à la suite des délibérations prises pendant la cession.
Suit alors la pétition au ministre ainsi rédigée:
Au citoyen Chaptal, Ministre de l’Intérieur, les soussignés, Membres du Conseil municipal de la commune de Fougères, second arrondissement communal, département d’Ille-et-Vilaine,
Citoyen Ministre,
En arrivant à Fougères par la grande route de Rennes, on était autrefois arrêté coup sur coup par deux passages presque impraticables pour des voitures chargées, savoir la descente du Gast et la montée du Bourg-Vieil nommée aujourd’hui rue de la Convention.
Le premier de ces obstacles n’existe plus, les habitants de cette commune, auxquels les plus grands sacrifices n’ont jamais coûté lorsqu’ils pouvaient procurer l’utilité publique, ont fait changer la direction de la banlieue de Rennes, et pour la rendre plus droite et en diminuer la pente, ils ont fait escarper deux rochers d’une longueur et d’une largeur considérables. Les travaux exécutés sur la banlieue de Rennes dans la longueur d’environ 1.948 mètres (1.000 toises) ont coûté environ 72.000 francs dont 10.000 ont été fournis par les États de Bretagne.
Quant au second obstacle, il existe encore et s’oppose à la libre communication de la ville d’Ernée et des pays environnants avec les départements de la ci-devant Bretagne, il s’oppose même à la libre communication de la ville de Fougères avec celle de Rennes.
La rue de la Convention que les voyageurs et les voituriers quittant la banlieue de Rennes, sont obligés de gravir pour arriver au centre de Fougères et reprendre les autres grandes routes, est établie sur une pente qu’il n’est possible de corriger qu’en mettant sous terre le premier étage des maisons situées près sa partie inférieure, en découvrant les fondements de celles situées près sa partie élevée et en reculant les façades d’un grand nombre de ces maisons ; une pareille entreprise serait infiniment coûteuse et ruinerait une grande quantité de familles.
Il est heureux que la situation du territoire qui environne la ville offre un moyen facile d’opérer la jonction de la banlieue de Rennes avec celle d’Ernée. La première a été établie pour qu’étant continuée sur le coteau inculte de Rillé, elle aboutisse au faubourg Roger où se trouveraient ainsi réunies les grandes routes qui environnent la commune. Les ouvrages à faire consistent en une portion de chemin longue de 682 mètres (350 toises) sur un terrain solide où se trouvent la terre et la pierre à pied d’œuvre, en quelques déblais et remblais, en un pont d’une seule arche sur la petite rivière du Nançon. Il y aurait en outre, quelques indemnités à donner seulement aux propriétaires des terrains situés aux deux extrémités de la route à construire, les propriétaires du coteau de Rillé n’en pouvant exiger aux termes de leur contrat d’acquisition.
L’administration du ci-devant district et la municipalité de Fougères n’ont cessé depuis l’année 1790, époque de l’achèvement de la banlieue de Rennes, d’insister auprès des autorités supérieures pour que sa jonction avec les autres routes passant par Fougères fut enfin effectuée.
La justice de leur réclamation a été constamment reconnue par la ci-devant administration centrale et par le Conseil général du département, par le Ministre, par la députation d’Ille-et-Vilaine et par l’Assemblée Nationale.
Un premier fonds de 10.000 francs fut même affecté spécialement à cet objet par un arrêté du Conseil général du département en date du 12 septembre 1791 et les ingénieurs furent chargés de procéder sans délai à la reconnaissance des terrains et autres opérations nécessaires pour effectuer la dite jonction.
Le travail préliminaire n’a point été fait et aucune partie du fonds de 10.000 francs n’a été employé à sa destination.
Si la jonction de la banlieue de Rennes avec celle d’Ernée n’était pas effectuée, la dépense faite sur la première deviendrait à peu près inutile ; cette jonction est intéressante pour l’arrondissement comme pour le département d’Ille-et-Vilaine, pour les départements voisins et pour la République entière ; elle mérite donc de devenir l’objet des soins d’un gouvernement que sa justice et son impartialité rendent de jour en jour plus cher à tous les Français.
Nous demandons avec confiance, Citoyen Ministre, que vous veuillez bien arrêter:
1° - que par l’ingénieur en chef du département d’Ille-et-Vilaine, il sera, sans délai, procédé à la reconnaissance du terrain, aux tracés, nivellements, plans, devis et estimation des ouvrages à construire pour l’exécution de ladite jonction
2° - que lesdites opérations préliminaires étaient terminées, il sera procédé à l’adjudication au rabais des ouvrages à construire et que les sommes nécessaires pour leur exécution et achèvement seront prises sur les fonds à ce destinés par l’article 1er de la loi du 14 brumaire an 7
Fougères, ce 29 pluviôse an neuf de la République Française Une et Indivisible, - Salut et Respect.
Aucune signature ne figure au registre.
Il semble qu’on se soit mis à l’œuvre rapidement car le 24 pluviôse de l’an 11, soit le 13 février 1803, le maire, lors de la séance du conseil municipal, donne communication d’une lettre adressée par le Préfet qui demande de quelle manière a été dépensée la somme de 12.506 francs et 58 centimes accordée en dégrèvement sur les contributions antérieures à l’an 9. Etalant les comptes de la ville, le Maire informa ses collègues qu’une somme de 6.706 francs 11 centimes avait été employée à des dégrèvements réels et que les 5.800 francs 47 centimes restants avaient été employés à continuer les travaux de la jonction de la banlieue de Rennes avec celle d’Ernée suivant le désir du Conseil
Le Maire ajoute que les travaux avaient fini au mois de vendémiaire dernier, c’est-à-dire aux mois de septembre/octobre 1803 et que ces travaux ont permis d’employer pendant l’hiver quantité de pauvres ouvriers qui sans ce secours seraient morts de faim en finançant un atelier de charité. D’ailleurs, à cette occasion, on redemanda des fonds afin de poursuivre les activités de cet atelier.
Au cours de cette séance, un membre du Conseil dont le nom n’est pas cité, prend la parole pour donner un peu plus d’explications:
Citoyens,
Au moyen d’une somme de 10.885 francs donnée par le Gouvernement, on s’est occupé aux travaux nécessaires pour rendre praticable l’arrivée de Fougères sur la route de Rennes ; ces fonds sont employés depuis longtemps, néanmoins, le Conseil, pour procurer du travail à beaucoup de malheureux qui en manquèrent dans cette année de disette, a trouvé le moyen de continuer les ouvrages, mais les fonds sont épuisés, et dans ce moment où les travaux deviennent plus nécessaires aux indigents, on se voit, avec peine, forcé de les renvoyer si le Gouvernement ne vient à notre secours en accordant de nouveau fonds.
Dans l’état actuel, il est nécessaire de creuser l’emplacement d’un pont qui est maintenant le travail le plus urgent, mais ce pont n’est pas tracé, il faudrait que l’ingénieur voulut bien se rendre sur les lieux pour cette opération pressante afin de ne point interrompre un ouvrage aussi important. Pour la construction de ce pont actuellement nécessaire pour le transport des remblais, il faudrait un fonds de 12 à 15.000 francs.
Cette déclaration d’un conseiller municipal contredit quelque peu les propos du maire qui dit, lors de cette même séance, que les travaux étaient terminés. Il semble que ce n’est pas tout à fait exact puisque le pont sur le Nançon n’est pas encore construit. Sans doute avait-on commencé les travaux aux deux extrémités du Chemin neuf, mais le passage de la rivière restait à réaliser.
Et le même conseiller de poursuivre: J’estime en conséquence qu’il est de la plus grande importance de s’adresser au citoyen Préfet du département pour le prier d’accorder à la municipalité de Fougères quelques fonds pour continuer son atelier de charité, de charger l’ingénieur de l’arrondissement de venir tracer l’emplacement du pont et demander que le Gouvernement veuille bien accorder sur les fonds de l’an 11 une somme de 12 à 15.000 francs pour la confection du même pont.
Le Conseil municipal adopta ces motifs de pétition et adressa sa requête au Préfet. Il est intéressant de constater qu’en demandant des fonds pour le fonctionnement de l’atelier de charité, genre d’Agence pour l’Emploi ou d’agence d’intérim de l’époque, on atteignait deux objectifs: on donnait du travail à des ouvriers qui n’en avaient pas tout en poursuivant la construction de la route puisque ces ouvriers y étaient employés.
En 1805, les travaux continuent. Le 18 pluviôse an 13 (7 février 1805), le Maire présente le budget communal (extrait de la délibération ci-dessus). Il y est encore question du Chemin neuf: Sur la somme de 9.722,78 F portée au budget, il ne reste vraiment de disponible que la somme de 2.104,13 F, regrette le maire, que le surplus a été employé aux travaux de la grande route et qu’il y avait à espérer que le Gouvernement remboursera bientôt cette avance...
Les travaux semblent avoir été terminés vers 1806 car il n’est plus question de gros travaux à cet endroit dans les délibérations municipales. Ce qui est certain, c’est que le pont sur le Nançon est construit en 1807, car une délibération du 4 juin propose un nouvel article de dépense au budget de 1808 qui concerne l’abreuvoir situé près de ce pont: ... le nouveau pont du Nançon, écrit-on, déplaçant quelque peu le lit de cette rivière, il sera nécessaire de prolonger l’abreuvoir actuel jusqu’au nouveau lit, ce qui ne pourra se faire sans une certaine dépense tant en déblais de terre qu’en indemnité pour le terrain et même, peut-être, en empierrement pour donner au fond la consistance convenable. Si l’abreuvoir a disparu de nos jours, un passage partant de la ruelle des Vaux en porte aujourd’hui le nom et en garde ainsi le souvenir.
Pendant tout le XIXème siècle et une grande partie du XXème, cette partie du boulevard de Rennes, partant du carrefour Saint-Jean (Place Gambetta) au bas de la rue de Rillé fut désignée sous le nom de Chemin Neuf ; ce nom d’usage dans le langage des vieux Fougerais est encore parfois donné, même s’il tend de plus en plus à disparaître de nos jours.
À l’origine, la partie du Chemin Neuf partant du Boulevard de Saint-Germain à la place Gambetta était beaucoup plus creuse ; elle fut plus tard exhaussée afin d’en diminuer la pente. Ces travaux furent exécutés sans doute vers le milieu du XIXème siècle, mais nous n’en avons pas trouvé exactement la trace dans les archives municipales. C’est d’ailleurs ce qui explique que les maisons situées au bas et en haut du boulevard, aujourd’hui détruites, avaient leur rez-de-chaussée pratiquement enterré d’une hauteur d’un étage et qu’un escalier avait du être aménagé pour y accéder.
Il convenait ensuite de raccorder la route de Saint-Malo à celle de Rennes.
D’après le Vicomte le Bouteiller, pour se rendre à Saint-Brice, on utilisait autrefois un chemin creux qui partait du haut du Gast et rejoignait la Garenne (en Lécousse) par Folleville, ou encore un autre chemin qui partait de Bliche et rejoignait la Garenne par la Rousselais.
Très tôt, sans que l’on puisse réellement préciser l’époque, on créa une route partant de la Croix-Hamon à la Garenne, telle qu’elle existe aujourd’hui et on prit alors la direction de Saint-Malo en passant par la rue de Rillé et le faubourg de l’Echange.
Lorsque l’on fit la jonction de la route de Rennes entre la bas de la rue de Rillé et le carrefour Saint-Jean, on créa en même temps une route qui conduisait au Portail-Marie: c’est cette rue que l’on a appelée longtemps la Corderie et qui porte aujourd’hui le nom de rue Eugène Pacory. Par la Corderie, on abandonnait la pente très raide de la rue de Rillé, de la même manière que l’on avait abandonné les pentes trop rapides de la Pinterie et de la rue des Fontaines.
Pourtant ce chemin restait malgré tout assez escarpé et vers le milieu du XIXème siècle, on détourna cette route de Saint-Malo en la rapprochant du vallon du Gué-Landry et on lui donna ce parcours que nous lui connaissons de nos jours, il s’agit du boulevard de Saint-Germain qui rejoint l’ancienne route de Saint-Malo à la Croix-Hamon (en face de la clinique Saint-Joseph) et sur laquelle se greffa ensuite la route d’Avranches (route de Saint-James).
La petite histoire du Chemin Neuf se poursuit toujours. La plupart des constructions vétustes qui y subsistaient ont été détruites, et le boulevard de Rennes, à cet endroit, s’ouvre désormais, d’un côté, sur le Val Nançon, magnifique jardin créé au pied des vieux remparts nord de la ville et de la ruelle des Vaux, et, de l’autre, sur le Gué-Landry et le Jardin des Fêtes.