La Bécannière et le Boisguy
ou l’ironie de l’Histoire
eux châteaux du Pays de Fougères à l’histoire finalement très liée: la Bécannière, à Javené, et le Boisguy, plus connu sans doute, à Parigné. Leur histoire en effet, se rejoint par une alliance entre les deux familles propriétaires.
La Bécannière, vieille terre seigneuriale de Javené, connue depuis le XVème siècle, était entrée en possession de la famille du Bois-Lebon, seigneurs de la Garenne en Tremblay, d’Ardennes et de l’Échange, en 1714, en la personne de Pierre François du Bois-Lebon, acquise des Montbourcher, marquis du Bordage avec lesquels elle était alliée.
Le nouvel acquéreur de la Bécannière n’y trouva qu’un vieux manoir que les anciens aveux nous décrivent comme étant composé d’une grande salle basse au bout de laquelle il y a un office et une cuisine, avec deux pavillons au bout dans lesquels se trouvent quatre chambres. De ce vieux manoir, il ne reste rien, et ce sera son fils, René du Bois-Lebon, qui fera construire le château actuel en 1769.
René du Bois-Lebon ne profita guère de son nouveau château, car il mourut dix ans plus tard, le 31 janvier 1779, et fut inhumé dans l’enfeu seigneurial de l’église de Javené le lendemain 1er février, comme en témoigne encore son acte de sépulture qui fut dressé alors.
De son union avec Charlotte de Louviers, René du Bois-Lebon avait eut une fille, Bonne-Joséphine du Bois-Lebon, née à Fougères le 19 février 1755. Ce fut elle qui hérita de la terre de la Bécannière à la mort de son père.
Les du Bois-Lebon possédait un hôtel particulier à Fougères, rue des Trois-Rois, à proximité de l’hôtel de Marigny, qui occupait alors tout le côté de la rue, entre la rue Nationale et la rue Lesueur. C’est là que naîtront la plupart des enfants de la châtelaine de la Bécannière qui, le 12 septembre 1769, en la paroisse Saint-Léonard de Fougères, avait épousé le chevalier Alexandre Marie Picquet, seigneur du Boisguy.
La jeune mariée n’est âgée que de 14 ans. De cette union naissent huit enfants. La toute jeune Madame du Boisguy reste certainement très attachée à la propriété paternelle, et elle semble y revenir souvent. On voit certains de ses enfants naître ou mourir à la Bécannière.
C’est ainsi que les registres paroissiaux de Javené révèlent, en 1772, l’inhumation dans l’église de Javené d’une enfant âgée de six mois: Rosalie, morte chez son nourissier à la Louissais. L’acte est ainsi rédigé: Le corps de demoiselle Rosalie Ulalie Ugènie, fille d’Alexandre Marie Picquet, chevalier, seigneur du Boisguy et de dame Bonne Joseph Françoise du Bois Lebon, ses père et mère, âgée d’environ six mois, décédée au lieu de la Loissais, chez Michel Corbier, son nourissier, a été enterrée le 25ème may 1772 dans l’église de cette paroisse sous le banc de Monsieur du Bois-Lebon, son grand-père, seigneur de la paroisse. Présents: Gilles Trihan, Guillaume Dupont, Étienne Bouet, François Alain et autres qui ne signent - signé: Barbedette, curé. On remarque que l’orthographe des prénoms laisse un peu à désirer (Ulalie, Ugène pour Eulalie et Eugènie!)
Il ne semble pas que les parents aient assisté à la cérémonie, du moins ils ne sont pas cités dans l’acte. Il en était ainsi parfois pour les baptêmes; dès sa naissance le nouveau-né étant conduit immédiatement à l’église pour y être ondoyé, les parrain et marraine étant souvent recrutés sur place. Le frère de la défunte, Aimé du Bois-Guy, eut pour parrain et marraine deux pauvres qui se trouvaient à l’église Saint-Léonard lorsqu’on l’y conduisit. Ce qui est assez surprenant aussi, c’est que cette petite fille du seigneur de la paroisse ait été mise en nourrice dans une ferme de Javené.
Une autre petite fille mourut également au château de la Bécannière en 1779, ce qui prouve donc une fois de plus, que la famille du Boisguy fréquentait beaucoup la propriété familiale de Madame du Boisguy. L’acte ne précise pas l’âge de l’enfant et là encore, aucun membre de la famille n’est mentionné dans l’acte. Il est écrit: Le corps de demoiselle Hyppolitte Justine, fille d’Alexandre Picquet, seigneur du Boisguy et de dame Bonne du Bois-Lebon, décédée à la Bécannière le 23ème et inhumée le 24ème décembre 1779, en présence de Jeanne Blot, de Jeanne Prioux, de Jean Dupont et autres qui ne signent. Les deux femmes mentionnées étaient peut-être les servantes du château.
Enfin, en 1780, nait cette fois à la Bécannière une petite fille prénommée Antoinette. Madame du Boisguy est venue faire ses couches dans son château qu’elle a hérité de son père après sa mort l’année précédente. L’acte de baptême rapporte: Antoinette Élisabeth, fille d’Alexandre Marie Picquet, chevalier, seigneur du Boisguy et de Dame Bonne Joséphine Françoise du Bois-Lebon, son épouse, née le 20 au château de la Bécannière, a été baptisée le 21ème mars 1780. Parrain: Guy Marie Picquet, son frère; marraine: Élisabeth Quincé, qui ne signent - signé J.F. Brard.
Comme on le voit, le parrain de l’enfant n’est autre que son frère Guy Marie Alexandre Picquet du Boisguy, né à Fougères le 21 octobre 1772.
Les autres enfants de Bonne Joséphine du Bois-Lebon et d’Alexandre Picquet du Boisguy nous sont connus. Outre Guy du Boisguy, on trouve aussi en effet:
• Louis Marie, né le 11 janvier 1774, mort en 1804,
• Aimé, né à Fougères le 15 mars 1776
Les trois frères devinrent des figures emblématiques de la chouannerie fougeraise, mais il y a aussi:
• Joséphine Bonne Charlotte, mariée en 1792 à Urbain Marie Le Fèvre d’Argencé que l’on retrouve emprisonnée avec son mari à Laval en 1793,
• Colette Marie Appoline, née aussi à Fougères le 23 mars 1775, mariée à Parigné le 21 fructidor an 4 (2 septembre 1796) à Toussaint Marie du Breil de Pontbriand, compagnon de lutte d’Aimé du Boisguy et aussi son biographe.
Avant la Révolution, on peut donc aisément s’imaginer tous ces jeunes enfants du Boisguy: Guy, Louis, Aimé, Joséphine et Colette jouant et batifolant dans le parc du château de la Bécannière aux beaux jours, allant à la messe à Javené où leurs parents, seigneurs de la paroisse, semblent être fort bien considérés de la population, ce que l’histoire confirmera aux heures les plus sombres qui s’annoncent. La famille semble occuper, selon le temps et les saisons, leur trois demeures: les châteaux du Boisguy et de la Bécannière ainsi que l’hôtel particulier des du Bois-Lebon à Fougères.
On ne s’étonnera donc pas non plus de voir le jeune chef chouan, Aimé du Boisguy recruter aisément de nombreux chouans à Javené et dans la région. Il y est connu et il y connaît beaucoup de monde. La tradition veut encore que ces derniers se réunissaient au château de la Bécannière où ils prêtaient serment sur le crucifix du château, qui est toujours conservé, avant de partir au combat, notamment comme ce fut le cas, aux alentours de la chapelle Saint-Julien et de la Motte, en Javené, en 1794 et 1795. Madame du Bois-Guy fut la dernière Dame de la Bécannière. Au moment de la Révolution, en 1793, alors que la famille du Boisguy était recherchée et condamnée à mort par contumace, ses biens furent mis sous séquestre et mis en vente au profit de la Nation. On considéra Madame du Boisguy comme émigrée alors qu’en réalité, comme on le sait, elle resta cachée un certain temps dans son château de Parigné avec la complicité de la municipalité. Durant que ses fils guerroyaient dans tout le pays, Madame du Boisguy et sa fille Colette errèrent dans les pays de Fougères et d’Ernée, bénéficiant de beaucoup de complicités et de dévouement, et suivirent un temps l’armée de Vendée. L’histoire ne nous dit pas si elle trouva refuge à Javené, mais cela n’aurait rien de paradoxal, puisque le fermier de sa métairie de la Bécannière, Duclos, continua de lui verser ses fermages bien qu’il fut contraint de payer son loyer plus légalement au percepteur. Pendant plusieurs années, il paya deux fois son loyer; il savait donc où Madame du Boisguy se cachait mais jamais il ne trahit sa maîtresse.
Pour ce qui concerne Javené, les biens de Bonne Joséphine du Bois-Lebon du Boisguy, dite la citoyenne Boisguy, rangée dans la classe des brigands et morte civilement lit-on dans un rapport du District de Fougères comprenaient notamment la métairie, le château et le moulin de la Bécannière. Après plusieurs tentatives d’adjudication, personne ne se présenta pour acheter les biens de la citoyenne Boisguy, ce qui permit à la propriétaire de les récupérer, en bien triste état il est vrai, après la Révolution.
N’ayant pas été vendus nationalement faute d’acquéreurs, le château de la Bécannière et sa terre restèrent sous séquestre. En 1800, Madame du Boisguy écrivit directement au Préfet d’Ille-et-Vilaine afin de demander, et cela était audacieux, la main levée définitive du séquestre mis sur ses biens tant pour elle que pour ses enfants et sa radiation de la liste des émigrés dont elle ne fit jamais partie. Contre toute attente, elle obtint satisfaction et put ainsi récupérer ses biens. Le château de la Bécannière était bien loin d’être en l’état décrit lors de l’inventaire de 1794; six ans étaient passés, six ans de guerre civile et de chouannerie.
Les besoins de la guerre menée par les frères du Boisguy avaient contrait leur mère à emprunter beaucoup d’argent. De sorte qu’en 1803, Madame du Boisguy devait la somme de 19.000 francs à ses débiteurs, somme très importante à l’époque, ce qui l’obligea à vendre sa propriété paternelle de la Bécannière et beaucoup d’autres biens, le château du Boisguy notamment en 1804. D’ailleurs Aimé du Boisguy quitta le pays de Fougères pour aller s’installer à Paris, sa mère le suivit. Elle mourut à Senlis le 1er mai 1832, âgée de 78 ans.
Ce fut ainsi que le 24 janvier 1803, la propriété de la Bécannière fut achetée par Joseph Anne Tréhu de Monthierry, avocat à la Cour, originaire de Saint-Germain-en-Coglès. Dans une requête adressée au percepteur, l’acquéreur précise que le château n’est plus habité depuis 1792 et qu’il est absolument saccagé et inhabitable; il n’y a plus ni portes, ni serrures qui puissent servir; les vitres des fenêtres sont cassées et il lui faut faire installer des contrevents afin d’empêcher le vent de jeter l’eau dans cette maison. La Révolution était passée par là!
Et c’est là que plus précisément maintenant, nous allons pouvoir mesurer à quelle point l’ironie de l’Histoire peut être cruelle.
Le frère d’Aimé, Guy Marie Alexandre Picquet du Boisguy, né à Fougères le 21 octobre 1772, avait émigré en Angleterre en 1793 mais il revint en janvier 1795 pour rejoindre la division chouanne de son frère. Il fut tué lors du combat de la Plochais le 24 juillet 1795 et fut secrètement inhumé dans le cimetière de Landéan.
Les biographes de du Boisguy rapportent que ce jour-là, un convoi militaire important part de Fougères pour la Normandie, emportant des caissons de vivres et de munitions, la messagerie de Rennes à Caen, plusieurs voitures de voyageurs qui se sont mis sous la protection de la troupe pendant leur voyage avec force bagages et assignats. La troupe est composée d’un bataillon nantais d’infanterie légère accompagnée d’une soixantaine de gardes territoriaux. Les du Boisguy, l’œil toujours ouvert, avaient été prévenus la veille de ce départ. Intercepter un tel convoi était une opération à la fois fructueuse et propre à démoraliser leurs adversaires. Aussi, réunissant dans la nuit environ sept-cents hommes, ils se portèrent au matin à une lieue du bourg de Landéan, sur la route de Louvigné, au lieu-dit le Rocher de la Plochais, position des plus avantageuses pour tenter une surprise en raison des marais qui bordent la route des deux côtés et rendent très difficile à une colonne venant de Fougères d’éclairer suffisamment sa marche. Les Chouans s’établirent donc en embuscade à cet endroit. Aimé du Boisguy commandait le centre de la troupe, son frère (Guy) à sa gauche et Bonteville à droite avec sa colonne.
Il est huit heures et demie du matin. À peine le convoi est-il en train de franchir la zone marécageuse, que les Chouans ouvrent le feu. Surpris, les Bleus n’essaient même pas de résister. La débandade est totale, malgré les rappels des officiers cherchant à couvrir la retraite Les assaillants ne s’arrêtent pas en si bon chemin; ils se jettent à la poursuite des fuyards. Du côté des Bleus, les pertes sont lourdes. Les cadavres d’une cinquantaine de militaires jonchent le sol, ainsi que ceux de deux négociants, Cloutier et Vincent, et de deux commissaires civils pour la réquisition des grains, Desnoyers et Dagnet.
Dans le convoi se trouvaient également trois femmes qui furent victimes, non pas de la fusillade, mais qui furent purement et simplement assassinées. Le vicomte du Breil de Pontbriand rapporte qu’Aimé du Boisguy qui venant d’apprendre la mort de son frère Guy, apprit aussi en se rendant à son chevet que quelques-uns des siens se rendirent coupables d’un crime révoltant. Dès le début de l’action, les Républicains avaient abandonné leur convoi dans lequel se trouvait une voiture occupée par deux jeunes filles, Mesdemoiselles Fesselier et Chobé. La première allait, dit-on se marier en Normandie et emportait avec elle une partie de sa dot. Des misérables comme il s’en trouve dans toutes les armées flairèrent cet argent et, sous prétexte d’un ordre supposé, firent filer la voiture dans l’intérieur des terres, puis, loin des yeux de leurs camarades, fusillèrent les deux jeunes filles pour se partager leurs riches dépouilles. Du Boisguy frémit d’indignation à la nouvelle de ce meurtre, mais ne put que prendre des mesures pour les punir d’une manière exemplaire. Le colonel de Pontbriand rapporte que des preuves furent trouvées contre les nommés Pierre Froustel et Charles Costas qui furent arrêtés et traduits devant un Conseil de Guerre réuni à Saint-Brieuc qui les condamna à mort et les fit exécuter.
Bernard Heudré apporte ces précisions: Parmi les morts, trois femmes également, victimes de cette haine exacerbée par des années de guérilla. Elles avaient profité de ce convoi pour se rendre en Normandie. La première, enceinte, allait rejoindre son mari. Les deux autres étaient cousines, Guyonne Chobé et Louise Fécelier, nièces du négociant Vincent. La première, avec ses bijoux et sa dot, se rendait à Caen pour célébrer son mariage. Au début de la fusillade, le garçon d’écurie de Joseph Chobé, père de Guyonne, tente de ramener la voiture vers Fougères. Mais, raconte-t-il plus tard, le citoyen Cloutier, son passager, l’oblige à descendre de son siège, ainsi que les deux jeunes filles. L’une d’elles s’évanouit. Ce qui se passe ensuite est assez imprécis. Il semble que la voiture fut emmenée à l’écart en même temps que les deux jeunes filles. Pour faciliter le pillage, quelques chouans conduits par un dénommé Pierre Froustel, décidèrent de les supprimer. Quelques quinze jours plus tard, Froustel et un de ses compagnons furent fusillés sur ordre d’Aimé du Boisguy, peu honoré d’avoir dans sa troupe de tels individus.
Alors que la déroute des soldats républicains était complète, Guy du Boisguy se lança à la poursuite des fuyards et devança bientôt tous les siens, n’étant plus suivi que par un seul homme que l’on dit être son domestique, quand il voulut couper la retraite à une vingtaine de soldats qui fuyaient en désordre auxquels il cria: Bas les armes!.
Ceux-ci s’arrêtent, étonnés, nous dit, de Pontbriand, et pour arriver à eux, il y avait un petit marais à traverser, il (Guy du Boisguy) s’y jette et s’enfonce dans la vase jusqu’à la ceinture; plusieurs soldats l’ajustent et font leur décharge; il est frappé de trois balles et mortellement blessé. Ses soldats arrivent; ils le retirent, et le transportent au village de la Charbonnelais, en Landéan, où il expire deux heures après.
Le texte officiel relatant cette affaire de la Plochais rapporte: Cette journée cependant n’a pas été entièrement malheureuse pour la République. Si les Chouans n’y ont perdu qu’un petit nombre des leurs, il paraît du moins, d’après plusieurs rapports, que Boisguy l’aîné, l’un de leurs principaux chefs, a reçu dans cette affaire deux coups de feu, l’un au corps et l’autre à la tête dont il est mort le lendemain… selon la déclaration que nous a faite le citoyen Leeuws, allemand d’origine, volontaire dans la compagnie de la garde territoriale de Fougères (qui) nous a représenté la carabine d’un chef de Chouans qu’il a laissé pour mort après l’avoir abattu de deux coups de fusil et l’avoir ensuite combattu de près, ce chef était décoré de deux épaulettes d’un grade supérieur et la description qu’en fait le citoyen Leeuws cadre fort bien avec le signalement de du Boisguy l’aîné.
Ce fut la témérité de Guy du Boisguy qui le tua. Les blessures reçues à la tête et à l’aine étaient trop graves, on réussit quand même à le traîner jusqu’à la Charbonnelais, distant de trois kilomètres où il expira à bout de sang. Son frère Aimé, prévenu, accourut mais arriva trop tard pour recevoir son dernier soupir. Il fit enterrer secrètement son frère aîné, la nuit, dans le cimetière de Landéan.
Le décès fut déclaré le 7 septembre par deux manouvriers, François Chauvin et Marie Pelé qui déclarèrent avoir reconnu parfaitement parmi les morts, Guy Alexandre Picquet, âgé de 23 ans, natif de Saint-Léonard de Fougères, fils d’Alexandre Picquet et de Bonne Joséphine Françoise du Bois-Lebon, dont le premier est à Paris et la seconde à Fougères.
Le père du défunt, Alexandre Picquet du Boisguy, était, selon du Pontbriand, déjà mort, il ne pouvait donc pas être à Paris. Alors pourquoi la municipalité de Landéan, enregistra-t-elle la déclaration telle qu’elle lui fut faite?
Guy du Boisguy avait trouvé la mort le 24 juillet et l’acte de décès ne fut dressé que le 7 septembre suivant. Il ne faut donc pas s’étonner de l’imprécision de certaines déclarations (le père domicilié à Paris et la mère à Fougères?) ou, au contraire, la précision de certaines autres comme celle de l’état civil des parents de Guy qui comporte tous leurs prénoms. Il fallait absolument officiellement enregistrer ce décès et rien ne nous dit que les témoins qui le déclarèrent n’avaient pas été missionnés pour le faire. Bien plus tard, on éleva, à l’endroit où expira Guy du Boisguy, une petite chapelle que l’on peut toujours visiter. Elle reste bien entretenue et une inscription, gravée dans la pierre, indique que ce fut là qu’effectivement Guy du Boisguy mourut. Cette chapelle se situe sur la route de Landéan au Loroux, après les Renardières.
Aimé du Boisguy perdait un frère, un compagnon d’armes, un fidèle lieutenant, il n’en continua pas moins la lutte comme nous l’avons évoqué plus haut. La mort de Guy du Boisguy entraîna une série de violence dans le canton de Louvigné où l’insécurité s’instaura. Le maire de Louvigné écrivit au comité de Salut Public: Depuis quinze jours, plus de cent hommes et femmes ont été égorgés dans notre commune. Nous sommes réduits à abandonner nos enfants et nos femmes à la merci des scélérats et à nous retirer dans notre clocher avec soixante hommes de garnison!.
Beaucoup pensèrent que Guy du Boisguy avait été tout simplement assassiné. Le malheureux n’était-il pas réduit à l’immobilité par son enlisement dans le marais? On ne tire pas sur un homme désarmé! Il y eut beaucoup de polémiques à ce sujet par la suite. Trois mille livres de récompenses furent attribuées par le District de Fougères à l’homme qui affirma l’avoir ajusté. Théodore Lemas, nous dit qu’il s’agissait d’un certain Jean Zimmer, allemand d’origine, volontaire de la garde nationale de Fougères.
Le récit que l’auteur fait de l’affaire de la Plochais et de la mort de Guy du Boisguy est en tout point conforme avec les textes conservés. Lemas le reprend presque mot pour mot, à la différence près que ces textes ne parlent pas de Zimmer, mais d’un certain Pierre Leeuws, également allemand d’origine, volontaire dans la compagnie des gardes territoriales de Fougères. Ce fut toujours pour ce Leeuws, qui se faisait aussi appeler Jorse, que la municipalité réclama la prime de 3.000 livres qui se faisait attendre et dont l’action fut confirmée par un chouan déserteur qui avait rejoint les troupes républicaines.
Dans son ouvrage La Révolution dans le Pays de Fougères, le Vicomte Le Bouteiller, transcrit un autre rapport, dont il ne donne pas la référence, dans lequel il est dit: Nous ne pouvons même guère douter d’après la déclaration que nous a faite le citoyen Zemmer, allemand d’origine, volontaire dans la compagnie de la garde territoriale de Fougères que ce ne soit lui qui ait tué du Boisguy l’âiné; il nous a présenté la carabine d’un chef de chouans…. etc…. On retrouve ainsi exactement le même rapport que celui que nous avons déjà mentionné à la différence près que le nom de Leeuws est remplacé par celui de Zemmer.
Puis Le Bouteiller transcrit aussi la suite de ce rapport: Au reste, soit que le chouan tué par le citoyen Zemmer soit du Boisguy l’aîné ou quelque autre chef, l’action de ce brave homme mérité d’autant mieux d’être récompensé qu’il faisait tête à lui seul dans cet instant dans la forêt de Fougères à un grand nombre d’ennemis et que ce n’est pas la première occasion dans laquelle il s’est signalé par une pareille conduite.
Enfin, dans ses commentaires sur l’affaire, le Vicomte Le Bouteiller cite Lemas qui dit que cet Allemand se serait appelé Zemmer en allemand et Jorse en français, ce qui, à ses yeux, est peu compréhensible.
Pourquoi Lemas, qui quelquefois nous a habitués à transcrire certains faits bien réels d’une manière partisane, transpose-t-il le nom de Zimmer à celui de Leeuws? Aurait-il purement et simplement inventé ce nom de Zimmer? Mais alors comment expliquer que ce Zimmer qui a bien existé et qui a fait souche à Fougères, comme le prouvent les actes de l’état civil de la ville, se trouve mis à la place de Leeuws? Lemas le connaissait-il? Zimmer était-il à la Plochais? ce qui semble bien probable puisqu’il ne reparut plus à Fougères précisément à partir de 1795. Zimmer et Leeuws étaient-ils ensemble lorsque Guy du Boisguy fut tué? Plusieurs soldats l’ajustent, nous dit du Breil de Pontbriand. S’agissait-il de deux personnes, compatriotes mais différentes, où d’une seule personne portant plusieurs noms de guerre? J’avoue ne pas avoir trouvé de réponse absolument précise à cette énigme.
Mais que savons-nous précisément de Jean Zimmer? Il était arrivé en France bien avant la Révolution. Comment était-il arrivé à Fougères, nous ne le savons pas. Quoiqu’il en soit, le 1er juin 1779, Jean Adam Zimmer épousa en l’église Saint-Léonard de Fougères Françoise Cochon, originaire de Fleurigné. Le prêtre qui les maria écrit son nom Zime, alors que le contractant signe bien Zimmer. Sans doute avait-il un fort accent que le curé ne sut pas traduire. Son âge n’est pas indiqué dans l’acte contrairement à la jeune mariée qui a 26 ans, mais nous sommes renseignés sur son origine. Jean Adam Zimmer est de la paroisse de Saint-Nicolas de Weiner au diocèse de Spire. Il est le fils de Jacob Zime et de Marie Anne Semelevine. Les prénoms d’Adam et de Jacob laissent à penser que notre Jean Zimmer à peut-être des ascendances juives, pour autant nous n’en savons finalement rien, mais comme il se marie à l’église, on peut penser aussi qu’il était ou qu’il était devenu catholique.
Lorsque son fils Jean-François, né à Fougères le 11 février 1781, épousa, aussi en l’église Saint-Léonard, le 2 floréal an 13 (22 avril 1805) Victoire Lebreton, originaire de Mortain, l’acte de mariage précise que son père, Jean Zimmer est parti vers la fin de 1792 de son domicile qu’il avait alors à Fougères, place de la Loi, et que depuis dix ans, il n’a pas donné de ses nouvelles. Il s’était engagé, comme on le sait, comme volontaire dans la garde nationale et s’il faut croire cette déclaration, il ne reparut pas à Fougères à partir de 1795, précisément en cette année où fut abattu Guy du Boisguy! Nul doute qu’il fallait mieux qu’il se fasse oublier des Chouans. Que devint Jean Zimmer? Nous ne le savons pas, ce qui est sûr c’est que l’état civil de Fougères ne mentionne pas son décès.
Jean-François Zimmer et Victoire Lebreton n’eurent que des filles, toutes nées à Fougères:
• Victoire-Françoise, née le 9 avril 1806,
• Thalie, née le 24 novembre 1807,
• Claire, née le 20 août 1809
• Bathilde, née le 3 août 1810
Elles sont toutes nées rue Impériale (rue Nationale actuelle), le père est propriétaire et exerce la profession de marchand de vin en 1806, de marchand en 1807 et de traiteur en 1810.
La quatrième fille, Bathilde Zimmer, resta célibataire, mais pour autant, elle eut assez de talent pour se faire entretenir par des hommes galants qui durent négocier ses charmes en mettant la main au gousset, car on voit, au fil des actes qui la concerne, notre Bathilde Zimmer, de simple tricoteuse, devenir tout simplement propriétaire, vivant bien entendu de ses revenus.
Ce fut ainsi qu’elle devint la mère d’une petite fille prénommée Victoire, née à Fougères le 10 mars 1833, puis onze ans plus tard, d’une autre fille naturelle prénommée Bathilde comme sa mère, née le 15 juillet 1844. Cette dernière se maria à Fougères et mourut en 1922.
Pour ces deux enfants, nous ne savons pas, du moins officiellement, qui était leur père. Mais pour Victoire Zimmer, le voile est pratiquement levé, même s’il n’y eut jamais de reconnaissance officielle de paternité. Lorsqu’elle épousa à Fougères, le 2 octobre 1852, Placide Provost, le fils d’un médecin rennais, un contrat de mariage fut passé devant Maître Deleurme, notaire à Fougères.
Pour faire bonne figure sans doute à une union pour le moins inégale, ce contrat était assorti d’une donation.
Il ne s’agissait, ni plus ni moins, que d’un château, six métairies, un moulin à blé, et des terres d’importance.
Le donateur était le témoin de la jeune mariée, rôle qu’il se partageait avec le notaire. Ce n’était pas n’importe qui non plus. Il était né à Rennes le 14 septembre 1797, il était resté célibataire, mais avait été avocat, commandant de la garde nationale de Fougères, député de Fougères en 1837, 1839, 1842 et 1846, et nous dit Michel Cointat, dans son étude sur les Députés de Fougères, siégeait à l’extrême gauche, au 9ème rang.
Il se nommait Charles Tréhu de Monthierry.
C’est un nom qui vous dit quelque chose n’est-ce pas? C’était le propriétaire du château de la Bécannière et de toutes les terres qui en dépendaient, achetés par son aïeul, Joseph de Monthierry, à Madame du Boisguy en 1803.
Quelle ironie du sort toute de même, de voir Victoire Zimmer, arrière-petite-fille de Jean Zimmer, devenir ainsi la propriétaire du château de la Bécannière à Javené. Madame du Boisguy avait été très attachée à sa propriété familiale de Javené. Ce lieu qui lui était cher à plus d’un titre et où, souvent, Guy, Louis, Aimé, Joséphine, Colette… étaient venus dans leur jeunesse, tombait ainsi dans la descendance de celui qui fut, peut-être, l’un des assassins ou à tout le moins, le témoin de la mort de l’aîné de ses fils! La brave Victoire Zimmer elle-même, dont la mère avait quand même bien tiré son épingle du jeu pour la faire ainsi doter par un être cher, n’en a sans doute jamais rien su non plus. Comme on le voit ici, l’histoire peut être parfois bien cruelle.