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D'un Napoléon à l'autre

D'un Napoléon à l'autre...
La municipalité fougeraise ou
70 ans de changements de régime

Le Consulat qui devait ouvrir à Napoléon Bonaparte une voie toute impériale, laisse peu de traces politiques dans les annales des délibérations municipales fougeraises, toutes occupées à gérer au mieux les problèmes quotidiens posés à la cité après les luttes générées par la Révolution et qui avaient épuisé les ressources de la ville.

Bonaparte, Premier Consul, par Antoine-Jean Gros (1802).
Musée de la Légion d’Honneur - Paris

Il faut attendre l'an X de la République, que l’on disait encore Une et indivisible, pour voir apparaître le nom de Bonaparte alors Premier Consul, dans la transcription de l'ordre de nomination du 29 vendémiaire An X (21 octobre 1801) des citoyens Joseph Henri Bochin et Joseph Chardon du Tertre, membres de la Commission des Hospices, comme adjoints au maire de Fougères, M. Binel. Ce fut d'ailleurs le sous-préfet qui vint les installer à la mairie le 7 frimaire suivant (28 novembre 1801)

La proclamation de l'Empire le 18 mai 1804 ne semble pas avoir été l'occasion d’une explosion de joie à Fougères, car le registre des délibérations n'en fait pas état. Bien entendu, ce changement de régime à la tête de l’Etat ne sera pas sans incidence sur la vie municipale car nous voyons la plupart des conseillers en place être remplacés.

Ce sera ainsi que la séance du 15 pluviôse an 13 (4 février 1805), nous apprend que le maire Binel resté à son poste, est invité à lire une lettre du sous-préfet faisant état d'une nouvelle liste municipale soumise à l'autorité de tutelle et pour laquelle il a été procédé à un tirage au sort. C'est ainsi que le maire communique la liste de ceux qui sont sortis par le sort et celle de ceux qui sont nommés pour les remplacer. Le nouveau conseil municipal ainsi désigné doit prêter le serment prévu par le sénatus-consulte du 28 floréal (18 mai 1804) en ces termes: Je jure obéissance aux Constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur.

Les quatorze nouveaux membres prêtent donc individuellement ce serment et, nous rapporte la délibération municipale, par un mouvement spontané, les anciens membres ont demandé et ont été reçus à prêter le même serment. Mieux valait se ranger sous l’autorité du nouveau maître! On trouve les signatures de De La Bigne, de Mesange, Loysel, Denoual, Le Bouteiller, Rallier, Hubaudière, Tréhu, Orhan, Lorfèvre, Brochet, Beaulieu, Lorrier de la Gautray...

Le nouveau conseil approuve ensuite les comptes de l’année précédente présentés par le percepteur et examinés par les citoyens Rallier, Le Beschu de la Rallais et de la Bigne. On se préoccupe semble-t-il davantage de l’amélioration des ressources de la commune et à l’emploi de ces recettes qu’à ce qui se passe à Paris. Un décret impérial de 1807, pourtant très sérieux, nous fait un peu sourire. Il s’agit de fêter dignement l'anniversaire du couronnement de l'empereur car Napoléon a donné ses ordres. Cette décision du César entraîna la convocation de la municipalité fougeraise à une séance extraordinaire du conseil le 20 novembre 1807.

Le premier adjoint Bochin donne lecture d'une lettre du préfet qui fait part de la volonté impériale de voir les communes du pays ayant plus de 10.000 francs de revenus, doter sur les fonds communaux une fille sage qui sera mariée à un homme qui aura fait la guerre et dont le choix sera fait par le conseil municipal de chaque commune et par le préfet dans la commune chef-lieu de département, le premier dimanche du mois de décembre, fête de l’anniversaire du couronnement de sa Majesté l'Empereur.

Et voilà le conseil municipal fougerais en ébullition. Pensez donc, ce n'est pas les filles sages qui manquaient à Fougères, et faire un choix équitable n’était assurément pas facile. Le choix de la belle était une chose, mais il fallait encore la doter. La question était de savoir de combien et sur quels fonds.

D’abord, on eut un espoir. Monsieur Bochin pensa que dans ce moment, il ne se présenterait pas de fille pour se marier à un militaire. On constata aussi que tous les articles de dépenses ne laissaient aucun fonds libres. Cependant désirant donner des preuves de zèle et de soumission aux intentions de Sa Majesté, on trouva quand même un excédent dans la caisse des octrois de sorte qu’une somme de 200 francs fut votée pour doter la jeune fille et 50 francs pour faire la fête. La ville elle-même regrettant de ne pouvoir faire cet effort financier sur ses propres deniers, se résolut à recourir à la plus grande économie pour faire face à cette dépense l'année suivante.

La délibération fut soumise au sous-préfet Baron qui trouva que la somme allouée par Fougères paraissait bien modique. Vitré dit-il, fait des efforts plus conséquents. Et puis, rassure-t-il, la préfecture dispense aisément de la deuxième publication du mariage. Quant aux cérémonies religieuses on n’éprouve de difficultés ni à Rennes, ni à Vitré et si on en éprouvait ici (à Fougères), nul doute que Monsieur l’Evêque ne s'empressât de les lever. Et d’inviter le maire à faire de nouvelles recherches pour que la dot soit, s’il est possible, augmentée et portée à peu près au taux où elle se fera dans les autres villes.

Huile sur bois de Maurice Orange (1912).

Puis, plus menaçant: Je vous prie de ne rien négliger pour remplir les vues du Gouvernement et de faire tous vos efforts pour que votre ville ne soit pas distinguée d’une manière qui pourrait lui être défavorable (lettre du 27 novembre 1807)

Il fallut convoquer à la hâte le Conseil municipal pour une séance extraordinaire qui eut lieu le 30 novembre 1807, quelques jours seulement avant l’anniversaire impérial.

Monsieur Bochin avait mal pensé, car des filles désirant épouser un beau militaire, cela existait bel et bien à Fougères. Il y en avait au moins une! Marie Jeanne Boulot se présenta en effet à la municipalité ayant à son bras un ancien sergent d'infanterie légère, pensionnaire du Gouvernement, le sieur Jean Julien Aubert.

Comme on désirait surtout donner des preuves du plus inviolable attachement à Sa Majesté et de la plus grande soumission à ses intentions, et comme on avait fait aussi quelques économies, il fut décidé de doter la mariée d'une somme de 400 francs (la dot était doublée) et on autorisa le premier adjoint à employer jusqu’à la somme de cent francs pour les frais de la fête.

Mais il n’y eut pas d'autres filles sages à se présenter, de sorte que le Conseil prit les renseignements convenables relatifs à la fille qui se propose de se marier au sieur Aubert, ex-militaire, desquels renseignements il retire qu’elle s'est toujours comportée avec honneur, sagesse et probité, et décida que la dot mentionnée lui sera comptée aussitôt après avoir contracté dimanche prochain.

Et le dimanche 6 décembre 1807, en effet, à 10 h 30 du matin, Monsieur Bochin, adjoint au maire, mariait les deux jeunes gens à la maison commune. Jean Julien Aubert, ex-sergent à la 7ème Compagnie du 4ème Bataillon du 25ème Régiment d'Infanterie légère, avait vu le jour à Fougères 33 ans et 7 mois plus tôt et exerçait la profession de fabricant. La mariée, Marie Jeanne Boulot, était née à Saint-Hilaire-du-Harcouët le 21 août 1781; elle avait donc 26 ans et était domiciliée en notre ville où elle exerçait la profession de lingère. Nous ne savons rien hélas, de la fête organisée par la mairie à l'occasion de ce mariage.

Acte de mariage de Jean Aubert et Marie Boulot
Fougères – 6 décembre 1807.
Voir l'acte complet sur les A.D.35.

Napoléon, on le sait, était un marieur. Il s’entremit tellement dans les mariages de ses proches et de ses alliés que l’on peut dire qu’il maria toute l'Europe de l’époque. Aussi ne s'étonne-t-on pas de le voir essayer de faire le bonheur conjugal de ses soldats.

Lorsque lui-même épousa Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine, le faisant ainsi le neveu de Louis XVI, le 1er avril 1810, il prit, par un décret du 25 mars précédent, diverses dispositions qui, à l’occasion de son mariage et selon lui, devaient associer à son bonheur... et pour la vie, des militaires en retraite et des filles distinguées par leur bonne conduite. Et voilà, une fois encore, le conseil municipal de Fougères tenu de fournir une liste de gens à marier sur laquelle on devra choisir deux couples qu'il faudra doter non plus de 400 francs mais...de 600 francs chacun! Les mariages devront être célébrés le 22 décembre.

Le conseil se réunit le 10 avril 1810. On assiste alors à une très sérieuse discussion car il ne semble pas juste que cette dépense extraordinaire mais obligatoire soit prélevée sur le budget communal des villes alors que les mariages célébrés dans les cantons ruraux sont pris en charge par le Domaine extraordinaire de Sa Majesté. Le maire Lemoine explique qu’il a trouvé un militaire porteur d'un congé absolu qui a fait les campagnes de la Révolution, mais qui ne jouit pas de pension de retraite.

Un membre du conseil prend la parole pour préciser que s’il n'y a aucun reproche à faire au militaire présenté par M. le maire, sa candidature ne répond pas aux critères du décret impérial puisque celui-ci parle de militaires retraités, c'est-à-dire jouissant d'une solde de retraite. Le maire croit entendre que tout militaire porteur d’un congé absolu ou de réforme avec ou sans pension qui n’est point blessé de manière à ne pouvoir travailler et qui, en conséquence, n’avait pas obtenu de pension lors de sa réforme, était également digne de jouir des bienfaits accordés. Et comme personne ne semble devoir émettre un avis unanime sur le sujet, il est décidé d’en référer au sous-préfet.

Un autre membre fait observer que tous les militaires retirés avec pension à Fougères sont mariés et que si d’autres militaires ne viennent à se retirer à Fougères d'ici le 22 décembre, il faudra aller en chercher dans les communes voisines, ce qui fait vivement réagir un autre conseiller qui n’admet pas que la ville soit obligée de financer la dot d'un inconnu, non Fougerais ou du moins d'un militaire n'ayant pas son domicile à Fougères. Le conseil délibère dans ce sens. Enfin tout s'arrange, car le 13 avril suivant, le conseil se penche sur la candidature de deux militaires: Jean Devault qui se propose d'épouser Marie Perrine Nadal et Jean Pays qui veut s’unir à Marianne Grolleau. Comme les deux futurs jouissent de la meilleure réputation, le choix des bénéficiaires de la générosité impériale mais payée par la ville, est définitivement arrêté.

La naissance du Roi de Rome

Jamais dans l'Histoire, la naissance d'un enfant, dit-on, ne fut accueillie de la sorte. À travers 132 départements, on crie Vive le Roi de Rome en français, en italien, en allemand, en néerlandais. De la Baltique à l'Adriatique, ce sont sonneries de cloches, illuminations, retraites aux flambeaux et Te Deum qui se succèdent. Dans Paris, illuminé, des buffets sont ouverts en plein vent... les sous-officiers du Premier régiment de la Garde, ceux d'Austerlitz et de Wagram, coupent leurs moustaches pour faire un oreiller à l’Aiglon, né quelques heures auparavant, le 20 mars 1811.

À Fougères, le conseil se réunit le 26 avril pour délibérer sur la fête qui doit être organisée le 2 juin suivant dans toute l'étendue de l'Empire pour célébrer le baptême de l'enfant. En fait, l'ordre vient de la préfecture qui, par la plume du sous-préfet, transmet: la ville de Fougères est appelée à participer par une fête particulière, dont le programme doit être proposé d'avance, à la naissance de Sa Majesté le Roi de Rome.

Napoléon II (Le roi de Rome) par François Gérard (1811).
Musée de l’Histoire de France - Versailles.

Pourtant, si l’on croit la délibération, il semble qu’à Fougères la joie franche et universelle était de mise et que les Fougerais attendaient avec impatience qu’il leur fut permis de se manifester par des solennités publiques.

Quoi qu’il en soit, la municipalité prend plusieurs décisions. L'avis unanime est de soulager les malheureux de la ville car, dit-on, c’est le moyen le plus sûr d’entrer dans les vues paternelles du Gouvernement en cette circonstance précieuse.

Une somme de 1.753 francs et 34 centimes pourra être prélevée sur le budget pour les besoins de la fête ; un feu de joie sera allumé après le Te Deum qui sera chanté avec toute la pompe dont la ville est susceptible; une somme de 600 francs sera affectée à la dot d'une fille pauvre qui sera mariée à un militaire; une forte distribution de vivres sera faite aux pauvres des deux paroisses; un arc-de-triomphe accompagné d’emblèmes allégoriques sera érigé sur la Place-aux-Arbres où il y aura, le soir, des danses publiques qui se termineront à la nuit par un feu d'artifice; tous les édifices publics seront illuminés et invitation est donnée d'illuminer aussi les maisons particulières.

Le baptême du Roi de Rome - 9 juin 1811

La célébration du baptême ainsi que la fête initialement prévue ayant été reportées au 9 juin, le conseil municipal se réunit le 4 pour confirmer la délibération du 26 avril et pour donner lecture d'un décret de l'Empereur qui fixe le montant des dépenses pour la ville de Fougères à la somme de 2.700 francs, à savoir 1500 francs pour la fête et 1200 francs pour le mariage de deux militaires.

Un seul militaire se présente et désire épouser une fille sage, en l'occurrence Félicité Echerbaut. Il s'agit d’Etienne Vallet. L’un et l'autre jouissent de la meilleure réputation et sont présentés au conseil qui, immédiatement, donne son accord pour les faire participer aux bienfaits accordés. Bien que le conseil regrette infiniment qu'il ne se soit pas présenté un autre militaire pour épouser une rosière, on fera, ce jour-là, l’économie d'une dot.

La fin de l'Empire

En 1813, la France toute entière est lasse de la guerre. Pourtant Napoléon arrive à reconstituer une armée, formée en grande partie de jeunes conscrits sans expérience. Toutes les énergies sont les bienvenues, une formidable coalition contre la France est en marche.

C'est alors que nous voyons la ville de Fougères offrir à l'Empereur cinq cavaliers montés et équipés à ses frais. La séance extraordinaire du 21 janvier 1813 nous apprend en effet que le maire expose le noble exemple donné par la capitale et par plusieurs villes de l'Empire et se veut être l’interprète du patriotisme et du fidèle attachement à sa Majesté Impériale et Royale dont les habitants de cette ville se sont montrés si constamment animés.

Il mesure néanmoins le sacrifice que leur demandent les circonstances, mais considérant que leur zèle ne peut être inférieur aux moyens locaux dont on peut disposer, la municipalité émet un vote d'une voix unanime afin que la Ville de Fougères fournisse à l'Etat cinq cavaliers montés et équipés à ses frais et arrête qu’une adresse respectueuse serait présentée à Sa Majesté pour le supplier d’agréer cette nouvelle preuve du zèle de ses fidèles sujets les habitants de Fougères. Suit ensuite l'adresse:

À Sa Majesté Impériale et Royale:
Sire,
Les habitants de la Ville de Fougères qui regrettent l’un des plus braves généraux dans le général de La RiboisièreJean Ambroise Baston de Lariboisière, né à Fougères le 18 août 1759 était resté un familier de Napoléon Bonaparte depuis leur passage commun à l’école d’artillerie de La Fère. Il participa aux guerres de la Révolution et de l’Empire. Fait général et baron d’Empire, premier inspecteur général de l’artillerie de la Grande Armée, Lariboisière fut de toutes les batailles napoléoniennes et mourut à Koenigsberg, en Prusse orientale, après la défaite de Russie, le 21 décembre 1812. Ramené en France, son corps repose aux Invalides., leur compatriote, ont tous de commun avec lui, un parfait dévouement pour Votre Majesté et un zèle sans bornes pour son service. Ils le prouvent, Sire, autant qu'il est en leur pouvoir, par l’offre qu'ils font de fournir cinq cavaliers montés et équipés à leurs frais, offre que nous vous supplions, en leur nom, de vouloir bien agréer. Nous sommes avec le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté Impériale et Royale, les très humbles, très obéissants, les très fidèles sujets, les membres composant le conseil municipal de Fougères
.
signé: Lemoine, maire

On le voit, la municipalité ne manque pas de rappeler la mémoire du général de Lariboisière, mort quelques mois plus tôt au cours du désastre de Russie.

Le général Jean Baston de Lariboisière.
Huile sur toile de Jean-Baptiste Mauzaisse (1835) – Château de Versailles

En juin 1813, Napoléon qui a besoin aussi de la fidélité de son administration, renouvelle les conseils municipaux. Le 1er juin, le sous-préfet de l'arrondissement de Fougères, accompagné d’un détachement de la Garde nationale, entre dans la salle des délibérations de la mairie et donne lecture d'un décret impérial daté du Palais de Saint-Cloud le 10 avril précédent qui porte nomination de Jean René Georges Lemoine comme maire de Fougères (il est donc reconduit dans ses fonctions) et de Messieurs Louis Le Febvre de la Faucillonnais et Jean Julien Ménard comme adjoints au maire.

Le sous-préfet reçoit le serment de fidélité exigé et l'assemblée se sépare aux cris de Vive l'Empereur!.

Le 4 novembre, une lettre du sous-préfet Baron nous apprend que depuis deux jours des prisonniers autrichiens sont arrivés à Fougères. Ils sont au nombre de 429, sergents, caporaux et soldats et arrivent de Troyes. Il est impossible de dénombrer les sous-officiers car, dit le sous-préfet, il s’en présente plus à l’appel nominal qu’il y en a sur la feuille de route; aussi est-il décidé de les traiter comme les simples soldats jusqu'à ce qu’un contrôle soit fait.

Un officier est désigné pour commander ce dépôt de prisonniers, il s’agit du lieutenant de gendarmerie Leroy et un conseil d'administration est mis en place sous la présidence du maire pour statuer sur les besoins générés par cette arrivée de militaires étrangers qui furent non pas internés au château mais dans les casernes de la ville.

Une lettre du Chef de la Cinquième Division du Ministère de la Guerre est adressée au baron de PommereulFrançois René de Pommereul est né à Fougères le 12 décembre 1745. Général de division pendant la Révolution française, il poursuivit sa carrière sous l’Empire au cours de laquelle il fut nommé préfet de Tours, puis Directeur général de l’imprimerie et de la librairie.  Baron d’Empire, il s’exila à Bruxelles lors de la Restauration monarchique mais put revenir à Paris où il mourut le 5 janvier 1823. Avant la Révolution, il avait afféagé le château de Fougères puis s’en était rendu propriétaire. Il y habitait avec sa famille dans une maison qu’il avait fait construire dans la première enceinte (détruite aujourd’hui)., alors Conseiller d'Etat et Directeur Général de la Librairie et de l'Imprimerie, le 29 octobre 1813, dans laquelle il est écrit: Son Excellence de Duc de Feltre s'est fait rendre compte du placement des prisonniers de guerre à Fougères et s'est convaincu que les 500 Autrichiens qui vont y arriver doivent être mis dans les casernes militaires et non dans le château qui vous appartient. Son Excellence me charge de vous en donner sur le champ avis, ainsi que de son désir de faire ce qui peut vous être agréable.

Le baron François René de Pommereul.
Gravure de Chrétien – Archives municipales de Fougères

Il semble que cette décision fut remise en cause, car une autre lettre du Ministre de l'Intérieur au Baron de Pommereul, datée du 19 mars 1814 rapporte:
Monsieur le Baron,
Par votre lettre du 7 de ce mois, vous avez réclamé contre la désignation faite par Monsieur le Préfet d'Ille et Vilaine, du château de Fougères qui vous appartient, comme d’un édifice propre à loger temporairement des prisonniers ou des malades militaires.
Ce château étant habité par Madame de Pommereul, ne sera plus compris dans la liste des bâtiments à affecter au service des prisonniers. Je viens d’écrire en ce sens à Monsieur le Préfet parce qu’il ne doit être employé à cet usage que des édifices inhabités.

Le 13 novembre 1813, la municipalité fougeraise adresse cette lettre à l’Empereur dont l'étoile pâlit très sérieusement car les Alliés, en effet, sont prêts à franchir le Rhin.

Sire,
Les habitants de la ville de Fougères qui se sont toujours signalés par leur soumission, leur fidélité et leur zèle ne se démentiront point dans les circonstances actuelles. Ils savent que c’est dans les temps difficiles que ses devoirs deviennent les plus impérieux, et pleins de confiance dans l’intention où est Votre Majesté de donner à la France la paix et le bonheur, ils jurent de concourir de tout leur pouvoir à atteindre ce glorieux but.

Arrivée de Louis XVIII

À l'aube du 31 mars 1814, après une bataille acharnée autour de la capitale, le canon se tait. Les Parisiens ignorent encore les conditions qui, dans la nuit, fixaient leur sort. À 9 heures, la nouvelle commence à circuler, l’Empereur capitule, le tsar Alexandre a accueilli de manière bienveillante la députation municipale, les troupes ennemies vont faire leur entrée en ville. Durant ce temps, Talleyrand prend l’offensive et déclare que la paix avec Napoléon ne présente aucune garantie, que la seule formule acceptable, selon lui, est le rétablissement des Bourbons. Alexandre hésite, l'empereur d'Autriche, beau-père de Napoléon, s’est volontairement abstenu de paraître, Marie-Louise ne sera pas régente et Napoléon devra abdiquer sans condition.

Alexandre 1er, tsar de Russie de 1801 à 1825.
par Franz Krüger

Dans une proclamation à ses soldats le tsar écrit:
Nous entrons dans un pays contre lequel nous allons entreprendre une guerre obstinée... la splendeur de la gloire des Russes sera plus brillante si nous savons nous vaincre nous-mêmes comme nous savons vaincre l'ennemi, la religion que nous défendons dans nos cœurs nous commande de pardonner à nos ennemis... Soldats, je suis fermement persuadé qu’en vous comportant bien dans le pays étranger vous gagnerez l’affection, n'oubliez pas que par votre modération, votre discipline et l’amour du prochain, vous avancerez vers l’objet que nous proposons, la paix universelle.

Ces recommandations furent-elles suivies d'effet? Quoi qu’il en soit, à la Barrière de Pantin, on crie Vive les Bourbons!, Vive Alexandre!. On le trouve d'ailleurs très beau.

Le 30 avril, une frégate anglaise emportait Napoléon vers l'Ile d'Elbe où avec le titre d'empereur et une pension de deux millions, il devait, selon le mot de Chateaubriand, se contenter de régner sur un carré de légumes.

Le 6 avril 1814, trois jours après le vote de la déchéance de l'Empereur par le Sénat, Louis XVIII, perclus de goutte, obèse et difforme, était rappelé sur le trône de ses pères. Le 24 avril, il débarque à Calais.

Louis XVIII – roi de France de 1814 à 1824.

Avant même l’arrivée du roi en France, le 14 avril, la municipalité fougeraise déclare adhérer pleinement à tous les actes émanés du Gouvernement provisoire et du Sénat et, en conséquence, reconnaît la déchéance de Napoléon Bonaparte, pour lui et sa famille et reconnaît aussi Louis Stanislas Xavier de Bourbon pour son légitime souverain.

Louis XVIII qui se trouvait face à un pays divisé contre lui-même où les anciens émigrés allaient s'opposer aux partisans de l'Empereur déchu, avait fait cette proclamation au Peuple Français:
Le moment est enfin arrivé - il attendait ce moment depuis 23 ans - où la divine Providence paraît vouloir mettre en pièce l’instrument de sa colère. L’Usurpateur du trône de Louis, le dévastateur de l’Europe a, à son tour, des revers... Le Roi réitère l’assurance que les corps administratifs et judiciaires seront maintenus dans la plénitude de leurs pouvoirs... dès qu’ils lui auront prêté serment de fidélité... que les tribunaux, dépositaires des lois, interdiront toutes poursuites relatives à ces moments douloureux que le retour du Roi doit marquer du sceau de l’oubli, qu’enfin le code souillé du nom de Napoléon qui ne contient pour la plus grande partie, que les anciennes ordonnances et coutumes du Royaume, restera en vigueur à l’exception des articles contraires à la doctrine de la religion...

Devant toutes ces assurances royales quant à l’avenir des anciens serviteurs de l'Empire, la municipalité de Fougères se rassemble spontanément écrit-on, le 24 mai 1814 afin d’ adresser ses félicitations au Roi pour son heureux retour en France. Elle décide aussi d’envoyer l'un de ses membres, Monsieur Rallier, à Paris où il devra rejoindre la députation des habitants de Fougères qui doit se présenter à Louis XVIII. Rallier est chargé de la lettre suivante:

Sire, Le conseil municipal de la ville de Fougères, spontanément assemblé, fidèle organe des sentiments de ses concitoyens, offre à Votre Majesté et à son auguste famille, l'hommage de son amour et de sa fidélité. Et, oubliant le même discours fait à l'Empereur, quelques mois plus tôt, de poursuivre:

Sire, nous attachions notre bonheur au retour de Votre Majesté en France. Comme tous les Français, nous sommes convaincus qu’elle ne cessera de s’en occuper, nos maux lui sont connus, nous sentons combien les circonstances s’opposent au soulagement que votre cœur désire y apporter, nous attendrons du temps et de votre amour pour nous la félicité que vous désirez procurer à tous les Français.
Sire, daignez agréer l’assurance des vœux que feront sans cesse les habitants de Fougères pour votre bonheur et celui de votre auguste famille, nous sommes les garants de leur sincérité!
.

Cette lettre est signée du maire, Lemoine, de MM. Maupillé, Vitu, Roussel, Le Beschu de Champsavain, Le Pays du Teilleul, Brochet, Fontaine, de Mesenge, Hubaudière.

Durant ce temps, à mesure que les mois passent, la lassitude grandit dans le cœur de l'exilé de l'île d'Elbe, il songe très sérieusement à regagner la France. Et bientôt, dans une fantastique chevauchée, l’Aigle sera à Paris. Le 19 mars 1815, la famille royale avait quitté clandestinement les Tuileries quelques heures avant le retour de l'Empereur triomphant.

Les Cent-Jours (20 mars-22 juin 1815) laissèrent la municipalité fougeraise absolument muette sur les événements. Prudence sans doute; fallait-il mieux attendre avant de se précipiter dans de nouvelles déclarations d’allégeance, aussi n’y eut-il aucune réunion du conseil pendant cette période et ce sera une semaine après l'abdication de l'Empereur, que les édiles fougerais se réuniront en séance extraordinaire, le 20 juillet, pour faire au roi revenu de son exil, cette déclaration:

Sire, Offrir à Votre Majesté l’hommage de notre amour, de notre fidélité, de notre respect est le premier besoin de nos cœurs. Votre présence nous donnait le bonheur, la paix, la sécurité. Des ingrats ont méconnu leur père; ils ont rejeté vos bienfaits. Pour les punir, le Ciel a écouté leurs vœux insensés et l’usurpateur a rapporté la guerre, le désordre et la mort. Aujourd’hui la France entière tourne, en pleurant, les yeux vers vous. C'est notre père que nous implorons, c’est encore à Votre Majesté que nous devons notre salut. En faveur de vos enfants fidèles, vous pardonnerez aux enfants coupables ou égarés, et les étrangers oubliant les droits de la guerre, ne verront dans les peuples soumis aux lois d’un monarque qu’ils vénèrent que des amis et des alliés.
Quoiqu’éloignés de la Capitale, nos cœurs vous environnent. Vivez, Sire, pour notre repos et notre fidélité. Nous voudrions tous, aux dépens de notre vie, ajouter à des jours si précieux pour la France...
.

Le Pays de Fougères envahi

L'abdication de Napoléon (22 juin 1815) n'avait pas résolu les problèmes pour Louis XVIII qui retrouva son royaume envahi par les armées étrangères, mis à sac par elles, un pays épouvanté et découragé, un Trésor vidé par les Cent-Jours, une administration désorganisée, un désordre et une anarchie qui régnaient partout.

Deuxième abdication de Napoléon 1er - 22 juin 1815.

Si le premier Traité de Paris de 1814, avait été sans grand dommage pour la France qui retrouvait ses frontières de 1792 et ne payait pas de tribut, les conditions de paix après Waterloo, exigées par le second Traité de Paris (20 novembre 1815) étaient toutes autres. Ces conditions primitives de ce traité furent pourtant adoucies grâce au duc de Richelieu qui avait remplacé le Diable Boiteux, Talleyrand, au Ministère des Affaires Etrangères et qui, devenu Premier Ministre, sut avec beaucoup de pugnacité, négocier ce second traité. Le dernier membre de la famille du grand cardinalArmand Emmanuel de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1766-1822) était aussi un descendant direct de Gilles Ruellan, baron du Tiercent, marquis de la Ballue et seigneur du Rocher Portail, par sa petite-fille Marie Françoise de Guémadeuc, fille de Jeanne de Ruellan, épouse de François de Vignerot de Pont de Courlay, neveu du cardinal.. qui avait l'estime du tsar réussit à faire ramener de sept ans à cinq ans l'occupation militaire du pays par 150.000 hommes, en apportant une clause par laquelle l’occupation pourrait cesser au bout de trois ans; l’indemnité était ramenée de 800 à 700 millions.

Le duc de Richelieu.

Voici donc le royaume de France occupé! Le vainqueur de Waterloo, le général Wellington fait cette déclaration au Peuple français:
Au moment d’entrer sur votre territoire, les généraux des armées alliées, espagnoles et britanniques croient devoir vous faire connaître leurs intentions... Depuis longtemps, l’Europe et le monde entier sont inondés du sang innocent que la tyrannie fait couler. Français de tous les sexes, de tous les ordres, de tous les états, joignez vos efforts aux nôtres; que le bien de l'humanité vous réunisse.
Vos efforts parviendront à détruire le joug oppresseur sous lequel vous faisait gémir l’ambition démesurée du nouvel Attila. Venez donc, Français, vous ranger sous la bannière de votre prince légitime, que le nom des Bourbons soit votre mot de ralliement, que le drapeau blanc, symbole antique de votre bonheur, se développe sur vos cités et qu’il couvre de son ombre vos propriétés en vous rendant aux enfants de saint Louis...

Arthur Wellesley (1769-1852) 1<sup>er</sup> duc de Wellington vainqueur de Napoléon à Waterloo.<br><i>par Thomas Lawrence</i>

Une autre proclamation était adressée aux maires pour leur rappeler qu’il les tenait pour responsables de la tranquillité de leur commune. Les maires doivent faire désarmer tous ceux qui leur paraîtront suspects; les lois de la guerre ne permettront à personne de rester dans son village s’il veut exercer le métier de soldat. Le citoyen qui voudra être soldat devra servir dans les rangs des Alliés... Enfin, si le Commandant en chef fait avancer ses troupes sur le territoire, l’entretien et la subsistance de celles-ci seront à la charge des municipalités... L'occupant s'installait. Fougères allait, elle aussi, connaître cette occupation étrangère. Mais en attendant, le maire Lemoine, malgré ses gages répétés de fidélité au nouveau régime, était contraint de démissionner. Peut-être se souvenait-on qu’il avait été un fervent bonapartiste!

Le 11 août 1815 le préfet nomme M. François de Québriac maire de la ville de Fougères. Le nouveau maire est installé dans ses fonctions à la mairie par le sous-préfet, le 14 suivant, en même temps que ses deux adjoints: Messieurs François des Bouillons, avocat et Joseph Lelièvre de la Gesmerais. Les trois édiles prêtent le serment d’obéissance aux Constitutions du Royaume et de fidélité au Roi. L’assemblée se sépare aux cris de Vive le Roi!.

Le retour de Louis XVIII.

Une occupation très lourde

Quelques jours plus tard, le 31 août, le conseil se réunit extraordinairement car le maire a été prévenu que plusieurs colonnes de troupes alliées doivent passer en ville et parfois y séjourner, à savoir:

Occupation de la France dont de la partie orientale de la Bretagne de 1815 à 1818.
Soldats prussiens de 1815.

Toutes ces troupes se rendent finalement à Rennes qui, comme Fougères, doit faire face à cet afflux de militaires dont une partie restera sur les lieux pendant un mois (début septembre à début octobre). Dans un article consacré à l’occupation de la cité rennaise par les Prussiens en 1815, nous pouvons lire : Il s’agit quand même pour les 26 000 Rennais de procurer la subsistance d’environ 3 500 hommes en viande, pain, riz, légumes, beurre, sans oublier la bière, l’eau de vie et le tabac ainsi que l'avoine pour les chevaux. Un journal local note: Nous avons ici 3 000 à 4 000 hommes de garnison. Toutes ces troupes sont logées chez les bourgeois, parce que nous n’avons que des casernes trop petites et trop incommodesWiki Rennes Métropole..

Le général von Tauentzien<br>(1760-1824).

Ces troupes sont sous le commandement du général von Lobenthal qui est bientôt rejoint par les militaires composant le quartier général du 6ème Corps de l’armée prussienne sous les ordres du général d’Infanterie comte Friedrich Bogisla von Tauentzien qui s’arrête avec son état-major à Fougères. Comme nous le verrons, ses officiers qui resteront pour occuper la place de Fougères se montreront très exigeants envers la municipalité fougeraise.

Lorsque l’arrivée de ces militaires est annoncée, il faut à nouveau faire face à leur venue. Il convenait de fournir 51.500 rations de vivres et 12 600 rations de fourrage. Il faut, à la hâte, faire la publication de cette désagréable nouvelle à la population et fixer une adjudication pour la fourniture des rations.

La mairie fixe également le contenu des rations, soit:

Plusieurs personnes se présentent pour l’adjudication de la viande qui est finalement attribuée à Urbain Rageot et à ses associés au prix de 0,45 F la ration. Pour ce qui concerne l’adjudication du fourrage, elle est accordée à Messieurs François Le Harivel, Landais et Pèche fils, à raison d'un franc cinquante la ration. Les trois compères ne peuvent cependant s'engager que pour 10 000 rations, ce qui est assez éloigné du compte prévu.

Comme personne ne se présente pour l’adjudication du tabac et de l'eau-de-vie, il est décidé de se fournir en tabac chez les buralistes fougerais et de désigner des commissaires pour se procurer la goutte nécessaire. MM. Lelièvre de la Gesmerais et Guérin iront s’en procurer dans le département de la Mayenne et MM. Thomas et Dolley dans celui de la Manche. Plusieurs adjudicataires réclament des garanties financières et des avances. Le maire doit faire appel à tous ceux qui voudront bien venir au secours de la ville… promettant de rembourser les sommes qu'il leur aura empruntées.

Ce passage de troupes oblige aussi la municipalité fougeraise à recruter de nouveaux commis au nombre de 12 à 15, qui devront être employés pour servir de guides comme l’exige instamment l'autorité militaire d'occupation.

Le 12 septembre 1815, nouvelle réunion du Conseil municipal fougerais. On apprend que les troupes alliées sont cantonnées à Fougères et qu’elles ont des exigences. En effet, le commandant demande, pour suppléer à l’insuffisance des écuries existantes dans les casernes de la ville, que soient construites sur-le-champ des baraques capables de servir d’écuries pour 400 chevaux, faute de quoi, il se verrait dans l’obligation de mettre en réquisition les écuries de la ville et même au besoin les rez-de-chaussée des logements des habitants.

Le Conseil constate que malgré tout l’empressement que l’on pût mettre à obtempérer aux vues de M. le Commandant, il se passerait nécessairement bien des jours avant que les baraques à construire fussent en état d’être occupées et qu’en conséquence, il convient d’étudier d’autres mesures. Il est donc décidé de faire garnir de râteliers et de mangeoires les cloîtres et autres parties des casernes qui peuvent encore l’être, d’évacuer la chapelle Saint-Joseph pour la transformer en écurie et d’utiliser tous les bâtiments disponibles capables de remplir cette fonction, au besoin par réquisition. Le Commandant des troupes alliées exige l’aménagement d'un hôpital militaire dans le nouveau bâtiment de Saint-Louis où les salles devront être séparées par des cloisons.

La chapelle Saint-Joseph, rue Lesueur, utilisée comme écurie par les Prussiens.

Par ailleurs la fourniture de pain prévue à l’adjudication étant insuffisante, le maire doit réquisitionner les grains. On sait qu’il existe dans quelques greniers de l'hôpital Saint-Louis une certaine quantité de froment appartenant à des particuliers, une réquisition l’attribuera aux troupes d'occupation.

Un mémoire daté du 14 septembre 1814, relatif aux dépenses faites pour le pain délivré au bivouac du Champ-de-Foire nous fait constater que les boulangers des communes voisines sont appelés à aider leurs collègues de la ville, comme à Romagné, Fleurigné, Javené, Beaucé, Landéan, Louvigné, Lécousse, Saint-Étienne, La Chapelle-Saint-Aubert, etc. Quelques particuliers fournissent également du pain, comme les infirmiers de l’hospice qui fournissent trois rations de pain ou le sous-préfet de Fougères, pour donner l'exemple sans doute, se fait rembourser... deux pains!

M.M. François Guérin et Pierre Couyer de la Chesnardière exposent qu’ils ont dû traiter avec dix bouchers pour fournir dans de bonnes conditions la viande nécessaire, et de fournir un état de dépenses qui s’élève à 1.336 livres et 4 sous tournois. Pour cela on a dû abattre 84 bœufs et 60 vaches. Pour compenser cette dépense importante, la mairie vend les suifs, les pannes et les cuirs. Le maire constate aussi qu’il faut perpétuellement multiplier les écritures et que le secrétaire ordinaire de la municipalité ne peut y suffire. Monsieur Rallier accepte de l’aider dans cette tâche.

Pendant cette période, la seule préoccupation des édiles fougerais est de satisfaire aux besoins de l’occupant. Les délibérations ne traitent d’aucun autre sujet. On installe même une permanence à la mairie entre le 13 et le 21 septembre, à tour de rôle, deux membres de la municipalité, à jour fixe, se relaient, prêts à alerter le maire si une nouvelle demande prussienne arrive.

Le 14 septembre, le major prussien, commandant la Place, demande qu’une somme d'argent soit allouée aux officiers cantonnés en ville, suivant leur grade, pour leur tenir lieu de la nourriture que leur fournissent les habitants chez lesquels ils sont logés. M. Rallier est chargé de rencontrer le commandant de la Place qui est incapable de préciser combien d'officiers seraient concernés par cette allocation. Il doit, dit-il, en référer à son colonel.

Dans cette même délibération, nous apprenons que l’installation des écuries avance, on s’affaire à installer mangeoires et râteliers. On pourra bientôt recevoir 260 chevaux dans les cloîtres de la caserne des Urbanistes, 120 chez différents particuliers et 12 seulement dans la chapelle Saint-Joseph. Si chaque aubergiste veut bien mettre à disposition une partie de ses écuries, on pourra libérer alors une centaine de places pour les chevaux de l’armée.

Le maire, M. de Québriac, déclare qu’il ne peut plus continuer à assurer ses fonctions et qu’il part incessamment en aviser le sous-préfet. Le conseil excité par un sentiment unanime et se faisant avec confiance l’interprète de tous les habitants de Fougères, a témoigné à M. de Québriac les vifs regrets que lui cause son départ et fait éclater sa reconnaissance pour la manière sage et ferme à la fois, pleine de dévouement, d'impartialité et de zèle dont il a dans des circonstances aussi difficiles, rempli les fonctions trop courtes de Maire. Ce sera M. des Bouillons, adjoint, qui remplira les fonctions de maire, en attendant la nomination de M. Louis du Pontavice Bois-Henry le 18 septembre.

Le 16 septembre, on connaît avec plus de précision l’effectif des officiers prussiens cantonnés en ville. L'Etat-Major est composé du chef du régiment, d'un major, du commandant de la Place, de cinq capitaines, 3 lieutenants en premier, 11 lieutenants en second, soit 22 officiers.

Pour les frais de table des officiers et pour satisfaire à leur nouvelle exigence, à savoir un local assez grand, le linge, la vaisselle ainsi que tout ce qui est nécessaire pour le service, car, se plaignent-ils, certains officiers n'ont pas été très bien traités dans leurs logements. La municipalité se demande sur quelles recettes, on pourra prélever cette dotation et on espère pouvoir obtenir l’autorisation de faire participer les communes rurales à cette dépense. On décide sur-le-champ d'aller consulter le sous-préfet. MM. des Bouillons et Bouessel de Lécousselle sont chargés de la démarche

De retour, l’adjoint explique que le sous-préfet n'est pas favorable au vœu des Fougerais, car il ne lui semble pas juste que les communes voisines contribuent à cette dépense car, dit-il, les campagnes sont déjà extrêmement grevées pour leur propre compte.

La municipalité décide de répondre au Commandant de la Place par un vœu pieux, pour éviter de donner matière à des plaintes, on recommandera aux habitants qui auront à loger des officiers de redoubler d'égard et de soin pour satisfaire en tous points ces messieurs, autant qu'il sera en leur pouvoir.

Par ailleurs, M. des Bouillons fait également observer que dans la distribution des billets de logement, il est arrivé dans plusieurs quartiers de la ville que les intentions de la municipalité n’ont point été suivies et qu’il en résulte du désordre et de la confusion dans la distribution des rations, de sorte que l'on décide d’envoyer des commissaires vérifier dans chaque quartier quels sont les habitants qui logent des militaires, combien et de quel grade il s'en trouve dans chaque maison.

Comme on s'en doute, le Commandant de la Place n’est guère satisfait de la réponse faite par la mairie le 16 septembre. Dès le 18, il est intervenu, de sorte que la municipalité se réunit à nouveau. Et comme, dit-on charité bien ordonnée commence par soi-même!, il exige qu'à partir du lendemain 19 septembre, on lui serve dans son logement à dîner, une table de quatre couverts composés de quatre plats au moins, de deux bouteilles de bon vin ordinaire et d'une bouteille de vin de qualité supérieure au dessert, le tout indépendamment du linge, de l’argenterie et de tout ce qui est nécessaire pour le service.

Il ajoute qu’ il ne soupe pas ordinairement et qu’il ne demande rien pour ses officiers, mais il prévient que si quelques officiers se plaignent de leur logement, il les recevra à sa table à charge à la ville de fournir à chacun d'eux un ou plusieurs couverts selon leurs grades.

Sur quoi, rapporte la délibération, manifestant à l’unanimité le désir d’obtempérer aux demandes de M. le Commandant de la garnison, a, en conséquence, autorisé MM les adjoints à traiter pour cela avec les meilleurs cuisiniers de la ville.... On a vraiment l'impression que la municipalité est plate comme un tapis devant les occupants, prête à lécher ses bottes au moindre appel. On pressent une petite résistance chez les Fougerais qui doivent loger des officiers, mais il semble que les Prussiens inspirent aussi réellement une grande crainte.

Le 21 septembre 1815, le nouveau maire, Louis du Pontavice Bois-Henry, nommé le 18, est installé dans ses fonctions par le sous-préfet, à titre provisoire étant donné l’urgence, dans les circonstances présentes, de procéder à la nomination d’un maire à Fougères (arrêté préfectoral du 18 septembre 1815). Au cours de cette installation, le sous-préfet annonce qu’un grand passage de troupes prussiennes doit s'effectuer à Fougères et dans l’arrondissement.

C'est ainsi qu’il précise que le 24 septembre, on attend le passage à Fougères d’une réserve de cavalerie composée de 1 500 hommes et de 1 500 chevaux: le même jour, la 22ème Brigade composée de trois régiments d’infanterie, d'un régiment de cavalerie, d'une batterie et d'une colonne du Train passera à Saint-Aubin-du-Cormier.

Le 25, cette 22ème Brigade passe à Fougères. Les 26 et 27, c’est la 21ème Brigade composée de deux régiments d’infanterie, d'un régiment de cavalerie, d'une batterie et d'une colonne du Train qui doit séjourner à Saint-Aubin-du-Cormier, la brigade passe finalement à Fougères le 28. Pendant ce temps, toujours le 28, après être, elle aussi, passée par Fougères, arrive à Saint-Aubin la 23ème Brigade composée de trois régiments d’infanterie, de trois régiments de cavalerie, de deux batteries et d’une ambulance.

Voilà un mois que la ville reçoit du mieux qu'elle peut les troupes occupantes. La nouvelle apportée par le sous-préfet jette la municipalité dans la consternation. Elle informe le sous-préfet, au cas où il ne serait pas suffisamment informé que la ville et l'arrondissement de Fougères sont tout prêts d'être épuisés en grains, en bestiaux, en fourrage et en moyens de transport, par la nécessité où l'on s’y est trouvé de fournir à la subsistance et au service des nombreuses troupes à pied et à cheval qui n’ont cessé de traverser le pays ou d’y séjourner depuis le 4 de ce mois. On ne peut songer à imposer à l’arrondissement de Fougères une charge aussi énorme car il est de notoriété publique que l’arrondissement ne contient presque plus de froment, de seigle et de bestiaux et que le canton de Saint-Aubin n’est plus en état de se nourrir lui-même.

Pourquoi, demande-t-on, fait-on passer par Fougères les troupes qui se rendent de Rennes à Vire, alors qu’on peut aller de Rennes à Vire par Hédé, Dol, Pontorson, Avranches et Villedieu? Les routes y sont belles et le pays fertile en grain et en fourrage, les réquisitions y ont été moins nombreuses que dans le pays de Fougères. On peut aussi se rendre de Rennes à Saint-Hilaire-du-Harcouët en passant par Saint-Aubin-d'Aubigné, Antrain, Saint-James; la route n'est pas plus longue que par Fougères. On peut aussi prendre plus au sud et passer par Vitré, Ernée, Landivy et rejoindre Saint-Hilaire. Ce trajet n'allongera la route que d'une seule journée.

Bref, on veut bien que les troupes passent, mais on n'en veut plus à Fougères. D'ailleurs, comment le commandement prussien peut-il priver entièrement de tous moyens d'existence les habitants d'un pays qui s'est distingué par la manière pleine de bonne volonté et de zèle dont il a accueilli les troupes alliées et qui est prêt à montrer les mêmes dispositions quand on n'exigera pas de lui l'impossible ?

On craint malgré tout que l’ordre de marche est déjà donné et qu’il faudra bien subir cette nouvelle invasion. En désespoir de cause, une copie de la délibération est transmise au préfet. Les vœux des Fougerais furent, semble-t-il, exaucés, car les délibérations suivantes ne font plus état de passages de troupes. Un peu plus tard, le 10 février 1817, le duc de Richelieu obtient qu'un cinquième des troupes d'occupation commence à quitter le territoire national à partir du 7 avril. Ce fut le début d’un soulagement, car la disette sévissait en France, due en partie à l’occupation des Alliés qui décimaient le bétail et terrorisaient les paysans.

Puis la France ayant payé avant terme les indemnités de guerre exigées par les Alliés dans le Second Traité de Paris, ceux-ci décident de retirer leurs troupes à la fin de novembre 1818.

Mais revenons en 1816 et à la municipalité fougeraise qui est très occupée à délibérer sur les tarifs et le règlement des octrois. Il fallait bien retrouver des subsides après toutes ces dépenses extraordinaires et imposées qui avaient épuisé le budget communal.

Le 3 décembre 1816, le maire du Pontavice explique qu’en ville on a pris l’habitude d'emprunter les noms des Princes de la Maison Royale pour désigner certaines rues et que cela provoque de graves inconvénients. Il considère qu'en conséquence, il convient de donner à plusieurs rues et places de Fougères les noms les plus chers aux Français et propose des nominations nouvelles. Ce sera ainsi que la Rue d’Angoulême remplacera la rue du Temple; la rue de Berry, la ci-devant rue Lariboisière; la rue Dauphine, la rue du Four; la rue de Condé, la rue Jean-Jacques Rousseau; la rue de Bourbon, la rue Rallier et que la place d’Armes prendra le nom de Place d'Artois.

Après le vote du budget lors de la délibération du 9 décembre suivant, un membre fait part au conseil de sa découverte dans les papiers publics d'une espèce de pomme de terre très hâtive que l’on connaît sous le nom de truffe d'août. Cette plante, dit-il, est inconnue dans le pays, mais elle pourrait être d'une grande ressource dans un temps où une très mauvaise récolte fait attendre la prochaine avec tant d'impatience. Il serait digne de solliciter les administrateurs pour qu’ils donnent toute facilité aux agriculteurs afin qu’ils puissent se procurer cette production généreuse. Une demande est adressée en ce sens au préfet.

Faveurs royales pour Fougères

Une nouvelle inattendue est annoncée par le maire au conseil qu'il a convoqué extraordinairement le 25 mars 1817. Il a en effet reçu une lettre du comte de Kerespertz, ancien sous-préfet de Fougères, devenu préfet du département de la Vendée dans lequel il dit avoir obtenu des Princes, des secours pour les pauvres de la ville.

La lettre datée du 17 mars est adressée au chevalier Rallier, sous-préfet par intérim de l’arrondissement de Fougères et transcrite sur le registre des délibérations. Nous lisons:

L'intérêt constant que j'ai pris et que je prendrai toujours à l’arrondissement de Fougères ne permet pas que je vous laisse ignorer les nouveaux bienfaits que nos excellents Princes ont daigné répandre sur la classe indigente de ce pays. Ce n’est point en vain que j’osai les appeler au secours de notre détresse. Tous ont répondu à ces appels, et si leur bienfaisance inépuisable ne leur laisse pas les moyens de faire beaucoup pour chacun des infortunés, du moins ils ne repoussent jamais les pauvres qui les implorent.

Son Altesse Royale Monseigneur le Duc de Berry, dans une lettre aussi flatteuse à mon cœur qu’honorable pour mon amour propre, me fait passer un secours de mille francs.

Louis-Humbert de Sesmaisons.

Le Comte Humbert de SesmaisonsLouis Humbert de Sesmaisons (1777-1836), royaliste légitimiste convaincu, pair de France, député de la majorité ministérielle sous la Restauration. Il avait épousé Victoire Leloup de Chasseloir, la dernière héritière des marquis de Saint-Brice, propriétaires des châteaux de la Motte et du Rocher-Portail. Il fut également maire de Saint-Brice-en-Coglès. me mande que, dans une audience particulière de Madame dans laquelle il a eu l'honneur de lui remettre une lettre que je lui avais adressée, cette Princesse lui a promis de faire tout ce qu’elle pourrait pour nos pauvres; que Monsieur avait aussi promis une somme égale à celle de Madame; il ajoutait qu’il croyait être sûr que le Ministre de la Maison du Roi y joindrait encore mille autres francs.

Vous voyez avec quel zèle Monsieur de Sesmaisons a secondé une bonne volonté et mes efforts. Madame, Duchesse d’Angoulême, croyant que je serais appelé à Paris pour y prêter serment, chargea ce dernier de me dire qu’elle désirait me voir à mon passage à Paris et me remettre elle-même les secours qu’elle destinait aux malheureux. J’ai vivement senti ce qu’un tel désir avait de flatteur pour moi et je dois paraître excusable si j’ose me vanter des bontés particulières dont nos bons Princes daignent m’honorer dans cette circonstance; l’émotion que j’éprouve en les exprimant, les larmes dont je sens mes yeux se remplir me donnent la certitude que l’orgueil n’est pas le sentiment qui m’anime, mais n'est-ce pas aux bons habitants de l’arrondissement de Fougères que je dois ces témoignages honorables dont je suis si fier, leur affection et leurs regrets ont fait tout mon mérite comme leur zèle et leur dévouement avaient assuré mes succès.

Comte de Kerespertz

La Municipalité émue, arrête qu'il serait fait une adresse à chacun de nos augustes Princes les ducs d'Angoulême et de Berry.

À Monseigneur le Duc d'Angoulême,

Monseigneur,
Par les soins de M. le Comte de Kerespertz, magistrat qui, à tant de titres, mérite nos regrets, la fâcheuse position des pauvres de notre ville est parvenue jusqu’à Votre Altesse. Votre cœur est toujours sensible au malheur, votre main est toujours prête à répandre ses bienfaits; elle vient encore de s’ouvrir en faveur des indigents de Fougères.

Louis de France, duc d’Angoulême (1775-1844).

Le conseil municipal, spontanément assemblé, offre à Votre Altesse, au nom des malheureux, l’expression de sa vive reconnaissance; il connaît leurs sentiments, il se rend le garant de leur amour et de leur fidélité pour un Prince dont les bontés et les vertus viennent, chaque jour, fortifier l'espérance d'être heureux sous l’auguste race des Bourbons.

Les membres du conseil municipal, en parlant au nom du pauvre de la ville, se trouvent heureux d'être à lieu de renouveler à Son Altesse les protestations d’amour et de fidélité dont ils seront constamment animés pour son Auguste Personne. Ils sont, Monseigneur, avec un profond respect, de Votre Altesse Royale, les très soumis serviteurs.

La lettre adressée au duc de Berry, frère cadet du duc d'Angoulême - les deux, fils du Comte d'Artois, futur Charles X - était rédigée en ces termes:

Charles Ferdinand d’Artois, duc de Berry (1778-1820).

À Son Altesse Royale, Monseigneur le Duc de Berri

Monseigneur,
Remplis d’amour et de respect pour votre Auguste Personne, les Membres du conseil municipal de Fougères supplient Votre Altesse Royale de vouloir bien agréer l’expression de leur vive reconnaissance pour le bienfait que vous avez daigné accorder aux indigents de leur ville, à la prière de Monsieur le Comte de Kerespertz dont la sage administration laisse de si doux souvenirs. Ils voient avec attendrissement au Prince magnanime, un Petit-fils du Bon Henri, descendre des marches du Trône et porter des consolations dans l’humble asile du pauvre, ils le voient, regardant tous les Français comme ses enfants, non content de soulager les maux qu’il voit, chercher, en quelque lieu qu’il soit placé, le malheureux pour le secourir.

Recevez, illustre Protecteur des infortunés, digne Neveu de Louis le Désiré, recevez cette faible expression de notre gratitude. Puisse le Ciel, sensible à nos maux, vous procurer le bonheur que méritent vos vertus; puisse le précieux gage de félicité que votre digne épouse promet à la France, assurer votre bonheur en consolidant le nôtre, formé à la vertu par les soins de Votre Altesse, nourri de vos exemples, il sera pour nos enfants un second vous-même; et si, une autre fois, l’inclémence des saisons faisait peser de nouvelles calamités sur la Patrie, nos enfants trouveront en lui un bienfaiteur comme nous le trouvons aujourd’hui dans son Auguste Père.

Les membres du conseil municipal de la Ville de Fougères, heureux d'être auprès de Votre Altesse les organes des sentiments de leurs concitoyens et de ceux dont ils sont personnellement animés, vous supplient, Monseigneur, de vouloir bien agréer, l’assurance de leur sincère amour, de la vive reconnaissance dont ils sont pénétrés pour votre Auguste Personne et du profond respect avec lequel ils sont, de Votre Altesse Royale, les très soumis serviteurs.

Le duc de Berry avait épousé Caroline des Deux-Siciles dont il eut quatre enfants. La duchesse était enceinte du futur duc de Bordeaux (comte de Chambord) lorsque son époux succomba sous le couteau de Louvel le 14 février 1820. Plus énergique que son frère aîné, le duc d’Angoulême marié à sa cousine, Marie-Thérèse de France (fille de Louis XVI) dont il n’eut pas d’enfants, le duc de Berry aurait, peut-être, s’il avait vécu en 1830, montré à son père le roi Charles X, le danger de sa politique et l’on peut penser que le coup de couteau de Louvel a changé le cours de l’Histoire.

Nous remarquons d’ailleurs une nette différence entre les deux adresses fougeraises. Le duc de Berry semble être davantage considéré. En lui, il est vrai, reposait l’avenir de la dynastie.

Le maire, invité à vouloir bien employer cette manne financière de la manière qu’il croira la plus avantageuse pour les malheureux décida d’effectuer des travaux publics. La délibération ne précise pas lesquels, mais peut-être apportèrent-ils quelques soulagements à la vie quotidienne des indigents fougerais en leur donnant du travail. Du moins peut-on l’espérer!

Puis on passe à la suite de l’ordre du jour. On envisage d’acheter l'ancien cimetière Saint-Roch, soit pour y établir un marché aux chevaux, soit pour l’échanger avec les bas-jardins de l’hospice Saint-Nicolas afin d'augmenter la place du Marché aux bestiaux (Place Lariboisière actuelle). Pour ce faire, il faudrait emprunter car la municipalité a absorbé tous ses fonds pour secourir les malheureux! Le projet fut abandonné.

Naisance du duc de Bordeaux (1820)

L'enfant du miracle est né le 29 septembre 1820, sept mois après l’assassinat de son père. Le geste de Louvel n'aura donc servi à rien. C’est l’euphorie dans le camp royaliste et dans la famille royale. Louis XVIII bénit le nouveau-né que lui présente la duchesse d’Angoulême. Afin qu'il n’y eût pas de doute sur l'authenticité de l’événement, la duchesse de Berry avait requis six témoins qui assistèrent à l’accouchement. Son Altesse royale avait sacrifié la pudeur à la raison d’Etat.

La naissance d’Henri d’Artois, duc de Bordeaux.

À Fougères, la naissance du petit prince entraîna des réjouissances qui durèrent du 1er au 8 octobre 1820 et qui coûtèrent 521 francs 60 au budget communal. Nous savons qu’une garnison de Chasseurs de la Marne arriva à Fougères pour donner plus de solennité à la fête.

Les mémoires des fournitures témoignent qu’un feu de joie fut allumé le jour de la fête publique et que l’hôtel de ville fut illuminé, il en coûta 27 F 75. On ravitailla aussi les soldats et les gendarmes en pots de cidre et en eau-de-vie. C’est d'ailleurs ce qui coûta le plus cher: 343 F 85! On dut fournir en effet 678 pots de cidre et 83 litres d'eau-de-vie. Nos braves gendarmes et soldats n’étaient pas soumis à l'alcootest!

Enfin les boulangers Pierre Léon et Emmanuel Dorison fournirent 750 kg de pain qui furent distribués aux pauvres. Cette fourniture ne coûta que 150 francs.

Le 11 mai 1821, on voit la ville de Fougères contribuer à hauteur de 300 francs à l'acquisition du domaine de Chambord. En effet, le conseil manifeste le désir de saisir, avec toute la France, cette nouvelle occasion de prouver son fidèle dévouement à la dynastie des Bourbons.

Un artiste-vétérinaire à Fougères

Le 7 juin 1824, le maire propose d’établir un artiste-vétérinaire à Fougères. Il a d’ailleurs un candidat, le sieur Forthomme qui exerce sa profession au Régiment des Chasseurs de la Marne qui tient garnison en ville. Le jeune homme souhaite quitter l’armée et aimerait pouvoir s’installer à Fougères afin d’y exercer son art. Il demande seulement qu’on veuille bien lui assurer un traitement annuel de 600 francs. Le sous-préfet informé pense que la ville pourrait contribuer pour moitié à cette dépense; l’autre moitié sera répartie par ses soins sur les communes rurales de l’arrondissement. D’ailleurs, précise-t-il, les amendes de police rendues aux communes par ordonnance du roi, seront plus que suffisantes pour couvrir la dépense.

Un vétérinaire administrant un remède à un cheval.

Sur quoi, le conseil considérant qu’il serait en effet désirable et avantageux dans nos contrées agricoles qu’il s'y établisse une artiste-vétérinaire ayant les connaissances requises pour traiter avec succès non seulement les chevaux mais aussi les bêtes à cornes, espèce d'animaux si précieuse, abandonnée de tous, tenue à de simples paysans totalement dépourvus de principes et d'instruction dans l’art de guérir, ne suivant pour règle de leurs pansements qu’une pratique routinière, nécessairement fautive, au lieu que les chevaux, dans leurs maladies, trouvent du moins quelques maréchaux expérimentés qui, quoique au-dessous, à la vérité, des artistes qui ont fait leurs cours dans les écoles vétérinaires, ne laissent pas de faire souvent des cures propres à inspirer de la confiance aux cultivateurs.

Si les chevaux avaient quelque chance d'être soignés, on s'aperçoit que les bêtes à cornes ne pouvaient guère espérer que des remèdes de bonne-femme plus ou moins efficaces.

Un membre du conseil fait remarquer qu’un jeune homme de Fougères doit quitter l'école vétérinaire d'Alfort dans quelques mois et qu’il a l’intention de s’installer dans l’arrondissement de Fougères après l’obtention de son diplôme. Le maire pense que ce n’est pas un motif pour rejeter la proposition du sieur Forthomme qui est déjà très connu sous de très bons rapports.

Le jeune Fougerais peut s’installer s’il le veut dans une autre commune de l’arrondissement car on ne peut assurer le traitement de deux artistes. D’ailleurs, la municipalité considère que deux artistes semblables, parcourant et se partageant un territoire assez vaste pour les occuper l’un et l’autre, vu la quantité prodigieuse de bestiaux qu’il contient, pourraient s’y fixer sans se nuire; qu’en toute supposition, la concurrence ne pourrait avoir que d’heureux effets pour le pays, en les stimulant davantage, chacun d’eux étant jaloux de réussir à se faire un nom, et apportant par conséquent plus d’attention, de soin et d’activité dans ses traitements pour obtenir la préférence.

Le conseil trouve cependant que la somme de 300 francs proposée par le sous-préfet pour la prise en charge municipale du traitement du sieur Forthomme est trop forte proportionnellement avec le reste de l’arrondissement, en raison du peu d’avantage que les habitants de la ville pourraient retirer de cet établissement, à cause du petit nombre de bestiaux que renferme la commune, comparé avec celui existant dans les communes rurales qui seraient à lieu d’en profiter. Qu’enfin, si les ressources du chef-lieu sont plus grandes, ses dépenses obligées le sont également.

On décide donc d'accorder 200 francs au sieur Forthomme lorsqu’il se sera installé; il sera payé le jour où il aura fait au secrétariat de la mairie, sa déclaration de domicile en ville. Cette somme sera prélevée spécialement sur le produit des amendes de police.

Le 15 juillet 1824 a lieu l'installation de M. de Vallois, nommé maire par ordonnance du roi le 16 juin précédent en remplacement de M. du Pontavice Bois-Henry décédé. L'adjoint, M. des Bouillons est démissionnaire, il est remplacé par M. de Malfillastre.

Avènement de Charles X

Les contemporains de Louis XVIII ont été très sévères à son égard. La gauche traitait le comte d'Artois d’hypocrite, la droite ne lui pardonnait pas sa modération. Plus tard, l’opinion changea. Thiers devait affirmer qu’il fut le meilleur de nos rois constitutionnels. Pour le juger avec équité, il faut se rappeler les maux qui accablaient la France après les Cent-Jours et voir en quel état se trouvait notre pays en 1824.

Le 16 septembre 1824, Louis XVIII mourait, son frère, le comte d’Artois montait sur le trône de France sous le nom de Charles X. Le 25 septembre 1824, le conseil municipal de Fougères, après autorisation du sous-préfet, propose d’adresser au nouveau roi l’adresse suivante:

Charles X.

Sire,
Vos fidèles sujets, les Maire, Adjoints et Membres du Conseil Municipal de la ville de Fougères s’empressent de déposer au pied du trône de Votre Majesté l’hommage de leur profond respect et de leur inaltérable dévouement.
Est-il un plus digne hommage à la mémoire de ce bon roi que nous pleurons avec vous Sire? Est-il un espoir plus consolant pour vos peuples que ces paroles émanées de votre bouche royale?:
Je n’ai qu'une ambition, c'est de continuer ce que mon vertueux frère a si bien fait, c’est que mon règne ne soit que la continuation du sien.
Vous seul, Sire, pouviez faire susciter aussitôt aux plus profonds regrets les plus vives espérances. Nous sommes avec respect, Sire, de Votre Majesté, les très humbles, très obéissants et très fidèles sujets
.

Les journées de juillet 1830 et la Révolution ne laissent aucune trace dans les délibérations fougeraises. D’ailleurs la municipalité ne se réunit pas entre le 9 juin et le 11 septembre.

Ce 11 septembre 1830 précisément, le conseil se réunit pour l’installation du nouveau maire et de ses adjoints par le sous-préfet. Messieurs de Vallois, Lelièvre de la Gemerais et de Malfillastre ont été, en effet, priés de démissionner. Ils sont remplacés par Malherbe au poste de maire, Saucet et Martin aux postes d'adjoint. Tous les trois jurent fidélité « au Roi des Français, obéissance à la Charte constitutionnelle et aux lois du Royaume ».

Le reste de la municipalité est maintenue, elle prêtera serment le 21 septembre suivant au cours d'une réunion solennelle. Le conseil ne manifeste pas le désir d’adresser ses compliments à Louis-Philippe. On avait jusqu’à présent trop fait allégeance à la branche aînée des Bourbons pour se compromettre avec la branche cadette des Orléans dont le fils du régicide Philippe-Egalité venait de monter sur le trône de France par une révolution. On verra, sans doute, comment le nouveau régime pourra asseoir son autorité avant de s’engager plus avant.

Le 23 septembre, c’est au tour des membres de la Commission des Hospices de prêter serment. Les membres du Bureau de Bienfaisance sont également convoqués, seul le sieur Baron, membre du Bureau est là et remplit la formalité. L'abbé Gautier, curé de Saint-Léonard et l'abbé Cotterel, curé de Saint-Sulpice, également membres du Bureau ne se présentent pas à la séance malgré une convocation en bonne et due forme.

L’attitude de la municipalité et du clergé ne cache guère leurs sentiments légitimistes. D’ailleurs, la séance du conseil municipal suivante, du 9 octobre 1830, voit la nomination de nouveaux membres au sein du conseil et notamment de M. de Vallois, l’ancien maire révoqué un mois plus tôt.

On profite de cette séance pour redonner à la rue de Condé le nom de Jean-Jacques Rousseau; à la rue Dauphine, celui de rue du Four; à la rue du Berry, celui de rue Lariboisière; à la rue d'Angoulême, celui de rue du Temple et à la place d'Artois celui de place d'Armes.

On efface tout bonnement la délibération du 3 décembre 1816 qui, aux dires du maire de l'époque, M. du Pontavice, ne faisait que consacrer l’usage populaire d'une dénomination de rues consacrant une ferveur spontanée envers les membres de la famille royale! ce qui laisse quelque peu perplexe malgré tout.

La Révolution de 1848

Un mois avant que n’éclate la Révolution qui devait coûter le trône à Louis-Philippe, tout semble bien calme à Fougères. La Chronique de Fougères du 22 janvier 1848 fait part d’un arrêté du maire, Martin aîné, qui fait obligation aux Fougerais de ramoner les cheminées de leurs maisons dans un délai de huit jours, le commissaire de Police étant chargé de vérifier sur place et de verbaliser, ce qui ne devait pas être une tâche très facile vu le nombre de maisons concernées!

On sait aussi que le samedi précédent, 15 janvier, la Société Philharmonique s'est réunie à sept heures du soir, sous les fenêtres du sous-préfet Bertin, afin de jouer une sérénade en signe de la reconnaissance des Fougerais envers le digne administrateur qui nous quitte.

Le journal local informe que la Compagnie d'Artillerie reçoit des affûts neufs pour ses pièces de canon et déplore la mauvaise habitude qui existe dans les campagnes, de prendre les pailles et les foins à la base des meules sans s'inquiéter de la solidité de la partie supérieure, ce qui a conduit à un accident mortel à Lécousse où un malheureux cultivateur du village de la Métairie fut renversé par un éboulement et enseveli sous la paille, ayant la tête passée entre deux barreaux de son échelle et le cou pressé par l'un d’eux.

Quant à la situation de l'arrondissement de Fougères, elle est jugée très bonne: les restes en vieux grains peuvent suffire à la consommation des prochains mois, avant d'entamer une récolte qui a été bonne: les froments donnent une moyenne de 14 hectolitres à l’hectare mais ne sont pas très purs et atteints par la carie; les seigles rendent autant, les avoines sont ordinaires, les sarrasins donnent moins que l’année précédente, mais c’était une année extraordinaire, les pommes de terre ont beaucoup produit... on a une récolte ordinaire de châtaignes, bien qu’elles produisent rarement deux années de suite mais la grande quantité de pommes récoltées viendra en aide à la consommation...

Tout semble donc bien aller. Trois lignes du journal pourtant laissent entrevoir une situation parisienne qui se dégrade: le ministère de la Guerre a décidé que les militaires libérables en 1848 seront maintenus dans leur position. Le refus des réformes sociales et électorales, les scandales gouvernementaux et mondains dressèrent le pays contre le régime. L’inconscience des dirigeants politiques fait le reste. La fièvre monte et pourtant Louis-Philippe, aux Tuileries, ne sent pas la marée monter. Guizot s’en va, Molé refuse de former un cabinet, Thiers est rappelé dans la nuit du 23 au 24 février, ce qui ne réduit en rien l’exaspération parisienne. La colère grandit contre le roi lorsqu’il commettra la magistrale erreur de donner au maréchal Bugeaud, haï du peuple depuis le massacre de la rue Transnonain, le commandement des troupes.

Louis-Philippe, roi des Français.

Le 24 février 1848, Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, avant de quitter précipitamment la capitale. Espérant que la monarchie pourra se maintenir, il compte s’installer à Eu. Accompagné de la reine Marie-Amélie, livide et hargneuse, il passe la nuit au château de Dreux où il est bientôt réveillé par le sous-préfet qui lui annonce l’échec de la régence et la proclamation de la République. Louis-Philippe ne s’arrêtera pas à Eu mais passera la Manche et débarquera à Newhaven après une traversée détestable. Le lendemain, le couple royal s’installait au château de Claremont, dans le Surrey, mis par la couronne britannique à la disposition du roi des Belges Léopold et qui, en la circonstance, le cédait à ses beaux-parents. Comme pour Charles X et un jour Napoléon III, l'Angleterre accueille le roi déchu pour un exil qui n'aura pas de fin.

La nouvelle se répand très vite en province.

À Rennes, l'évêque s'adresse à ses curés le 26 février, dans une lettre pastorale qui doit être lue aux prônes des messes le lendemain et dans laquelle il fait appel aux sentiments tout à la fois catholiques et chrétiens des pieux paroissiens afin qu'ils se montrent les défenseurs zélés de l'ordre et qu'ils soutiennent les mesures de haute prudence que l'autorité municipale croira devoir adopter.

La Chronique de Fougères qui fait référence à cette lettre épiscopale, rapporte que MM. les curés l’ont développée en prêchant l'union, la concorde et l’amour de la patrie.

Le 28 février, le conseil municipal se réunit et le maire expose les mesures que l'autorité municipale en accord avec l’autorité administrative a cru devoir prendre pour assurer la tranquillité publique. La délibération ne précise pas quelles sont ces mesures. Quoiqu’il en soit le conseil approuve à l’unanimité et décide qu’une proclamation sera faite aux Fougerais:

L’Amour de l’ordre et de la liberté dont la population de Fougères a fait preuve dans tous les temps, donne au conseil municipal la ferme confiance que rien ne troublera le calme dont jouit la cité. Il invite ses concitoyens à se serrer autour du Gouvernement républicain établi et à joindre leurs efforts aux siens pour assurer à la Nation la Gloire et la Prospérité que l’union seule peut lui procurer.

Les événements parisiens ne semblent pas avoir beaucoup inquiété les Fougerais. La Chronique de Fougères, le 4 mars 1848, écrit: L’ordre n'a pas été un instant troublé dans notre ville, même pendant les opérations du tirage (au sort des militaires). Nous apprenons qu’il en a été de même dans les autres cantons de notre arrondissement. Et de publier dans la foulée, la proclamation officielle: La royauté est abolie, la République est proclamée, le peuple est uni, tous les forts qui entourent la capitale sont à nous, la brave garnison de Vincennes est une garnison de frères, etc....

Si à Rennes, une belle solennité rassemble les troupes sur les places du Palais et de l'Hôtel-de-Ville pour proclamer la République, à Fougères, on est beaucoup plus soucieux de retrouver deux prisonniers qui se sont évadés de la prison de la ville. Ce sont des hommes dangereux condamnés pour crime. Ils ont réussi à escalader le mur d'enceinte du côté de la rue de Laval et se baladent en ville où leurs signalements sont aussitôt diffusés. Les deux compères ne tardent pas à aller s’attabler dans un bistrot de la rue de la Pinterie où ils sont reconnus. Pendant qu’on leur sert à boire, le débitant s’en va au poste de police où il demande à voir le commissaire. Mais le garde mit, dit le journal, si peu d'empressement à avertir son supérieur que durant ce temps, les deux évadés avaient eu le loisir de vider leur chopine et de s'évanouir dans la nature.

Le 18 mars 1848, le maire, Aristide Martin, est révoqué. Il est remplacé par son adjoint, Joseph Couyer de la Chesnardière, lui-même remplacé par Julien Janvier au poste de second adjoint.

M. de la Chesnardière déclare se trouver heureux d'avoir mérité la confiance du Gouvernement provisoire et remercie ses concitoyens de la sympathie qu'ils lui ont toujours témoignée. Il réclame dans ses nouvelles fonctions les conseils de tous et il donne l’assurance que tous ses efforts tendront à la prospérité de la cité et au maintien de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité.

Et après avoir crié Vive la République! le citoyen maire annonce que la garde nationale est réunie sur la Place aux Arbres et que, elle aussi, est impatiente de proclamer solennellement la République.

Trois semaines se sont passées avant que Fougères ne célèbre l'événement. Prudence toujours. Un nouveau maire était nommé au nom de la République. On pouvait sans trop de risque organiser une cérémonie officielle. Ce qui fut fait ce 18 mars, en présence du Sous-Commissaire du Gouvernement Lodin (le sous-préfet), du nouveau maire, des membres du Comité républicain électoral, des officiers de la garde nationale, des membres du Tribunal, des fonctionnaires publics de toutes les administrations et aussi, dit-on, d'une foule de citoyens.

Le sous-préfet passe en revue la milice citoyenne fougeraise et proclame la République aux cris des bravos et au bruit du canon. Puis la garde nationale et le cortège se dirigent dans les divers quartiers de la ville et font halte sur les places et carrefours. Alors MM. Lodin et de la Chesnardière prononcent des paroles de cœur et de patriotisme qui sont accueillies avec enthousiasme. Pendant ce temps, l’artillerie de la garde nationale tire des coups de canon. La fête, écrit-on dans le registre des délibérations, laissera de bons souvenirs dans notre population, aussi est-il bon de les rappeler!

Vers le Second Empire

Dès qu’il apprend la chute de la monarchie, Louis-Napoléon Bonaparte, fils de l’ex-roi de Hollande Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais, accourt à Paris mais doit regagner Londres car le Gouvernement provisoire juge sa présence inopportune. Bien que n’étant pas candidat aux élections d’avril 1848, quatre départements l’élisent lors d'élections partielles de juin. Il refuse ce mandat; en septembre, de nouvelles élections partielles lui permettent d’être élu par cinq départements. La loi d’exil contre les Bonaparte ayant été levée, Louis Napoléon accepte son élection et revient en France.

Portrait de Louis-Napoléon Bonaparte et proclamation du Prince-Président à la tête de la République.

Son heure est venue... bientôt, le 10 décembre 1848, à une énorme majorité, il sera élu à la Présidence de la République. Le 20 décembre, le Prince-Président prête serment à l’Assemblée: En présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale, je jure, proclame-t-il, de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible et de remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution.

À partir de cet instant, Louis-Napoléon a commencé à préparer l’avenir. Le neveu compte bien suivre les traces de l’oncle. N'ayant pu obtenir une révision constitutionnelle qui provoquerait son mandat, il fait appel à la force armée et organise son coup d’Etat le 2 décembre 1851. L’opération est menée avec une merveilleuse dextérité et le vainqueur se fait plébisciter par près de 7 millions de voix contre 600.000. Président pour dix ans, puis empereur héréditaire - après un second plébiscite en 1852 encore plus triomphal que le premier – l’ancien prisonnier du fort de Ham devient Napoléon III.

Mais revenons à Fougères. La municipalité avait, nous l’avons vu, adhéré pleinement au régime républicain. On avait même fait la fête en ville pour célébrer l'événement.

La Chronique de Fougères fait régulièrement part des nouvelles dispositions législatives prises par le Gouvernement. C'est ainsi qu’on apprend, en 1850, que les actes de mariage doivent désormais faire mention de l’existence d’un contrat de mariage entre les époux et qu'après le vote de la loi Falloux sur l’enseignement qui distinguait les écoles communales publiques et les écoles privées libres, les curés de Saint-Léonard, M. de Bonteville, et de Saint-Sulpice, M. Gouyon, sont délégués par l’Académie de Rennes pour la surveillance des écoles libres et MM. Maupillé, membre du Conseil d’arrondissement, Loysel, juge au Tribunal, Thomas, Président du Tribunal, et de La Bélinaye, membre du Conseil général sont chargés de la surveillance des écoles publiques. Pendant ce temps, M. Gaumerais, instituteur primaire communal, donne des cours du soir pour les ouvriers de la ville dans la salle de la mairie. Le tribunal, quant à lui, inaugure sa rentrée par une messe du Saint-Esprit, célébrée en l’église Saint-Léonard.

Après le Coup d'Etat de 1851, une dépêche télégraphique – partie de Paris le 22 décembre à 7 heures, arrive à Rennes le 23, à 4 heures du soir - indique que les cérémonies de la proclamation du Président de la République devront avoir lieu le 1er janvier. Le préfet Morisot est chargé de transmettre les ordres du Ministre de l’Intérieur aux maires des communes de son département. Ceux-ci arrivent sur la table du conseil municipal de Fougères le 27 décembre. Il est demandé que chaque chef-lieu d’arrondissement devra être représenté aux cérémonies parisiennes par son maire ou à défaut, par un délégué désigné par le conseil municipal. Celui-ci devra apporter son écharpe et une lettre du préfet qui l’accréditera.

Le maire de Fougères, Couyer de la Chesnardière, informe le conseil qu’il ne peut se rendre à cette invitation; Monsieur Droulon, négociant, membre du Bureau du collège et de la Commission hygiénique, conseiller municipal, ancien adjoint au maire et ancien administrateur des hospices, est désigné pour représenter Fougères à Paris.

Le 3 mai 1852, le maire, les adjoints et les membres du conseil municipal prêtent le serment exigé par l’arrêté préfectoral du 20 avril précédent. Au cours de cette séance, on voit le maire, M. Couyer de la Chesnardière se lever et prononcer à haute et intelligible voix la formule Je jure obéissance à la Constitution et fidélité au Président. Puis MM. Julien Janvier et Adolphe Pierre, adjoints au maire se lèvent à leur tour et font le même serment, bientôt suivis par les conseillers municipaux qui chacun, à l'appel de leur nom, disent Je le jure.

Proclamation du Second Empire

Dans son numéro du 13 novembre 1852, La Chronique de Fougères annonce le plébiscite des 21 et 22 novembre qui acceptera ou rejettera le rétablissement de la dignité impériale en la personne de Louis-Napoléon Bonaparte. Sont appelés à voter tous les Français âgés de 21 ans et plus, jouissant de leurs droits civils et politiques. Les électeurs du canton sud sont invités à voter à la mairie, ceux du canton nord au tribunal.

Le 22 novembre, Fougères fête aussi la Sainte-Cécile, une messe musicale est chantée en l’église Saint-Léonard par la Société philharmonique de la ville. Le produit de la quête (264 francs) est affecté aux salles d'asile des deux paroisses fougeraises.

Le résultat du plébiscite pour l'arrondissement de Fougères est sans appel: sur 19.275 votants, 18.865 répondront oui au rétablissement de l’Empire. À Fougères, seulement 188 électeurs sur les 1.749 votants seront contre. Il est aussi curieux de constater que dans la plupart des communes rurales des deux cantons de Fougères, le oui sera voté à 100%; un seul électeur se distinguera à Javené, au Loroux, à Parigné, à Luitré, à la Selle-en-Luitré et à la Chapelle-Janson en votant non.
Le dimanche 5 décembre, la proclamation de Napoléon III comme Empereur des Français, est officiellement organisée à Fougères, à l’issue de la messe paroissiale, avec le concours de toutes les autorités civiles et militaires.

Le maire demande que les édifices publics soient illuminés et invite les habitants à pavoiser et à illuminer la façade de leurs maisons. Une distribution de pain est faite aux indigents de la ville à cette occasion; les pauvres admis par le Bureau de Bienfaisance sont invités à se présenter à la mairie le samedi 4 décembre, ceux de la paroisse Saint-Léonard le dimanche 5 et ceux de la paroisse Saint-Sulpice le lundi 6. Une loterie est organisée au bénéfice des pauvres dans la salle de la mairie le jeudi suivant.

Fougères en fête

La Chronique de Fougères, le 11 décembre 1852, rapporte dans ses colonnes ce que fut cette fête:

La proclamation de l’Empire, écrit le journal, célébrée dimanche à Fougères comme dans toutes les autres villes de France, a été solennelle et imposante comme l’exigeait le caractère d'une telle cérémonie, qui annonçait au peuple sa nouvelle destinée.
Dès onze heures et demie, la compagnie de sapeurs-pompiers, la gendarmerie et un assez grand nombre de vieux soldats des phalanges impériales, rangés sur deux files et commandés par l’ex-capitaine Rochelle, stationnaient en face la sous-préfecture, attendant le cortège officiel. La présence inaccoutumée de ces respectables débris, auxquels avait été confiée la garde du drapeau, attirait l’attention et faisait remonter la pensée à des jours déjà bien loin de nous. Un seul avait conservé son ancien uniforme complet.
À midi moins un quart, toutes les autorités civiles et militaires, les fonctionnaires publics et les membres de toutes les administrations sont descendus de l’hôtel de la sous-préfecture où ils étaient réunis, et sont venus prendre place au milieu de l’escorte d’honneur qui les attendait. Le cortège s’est alors mis en marche, ayant à sa tête M. le sous-préfet et M. le maire, et s’est dirigé vers la place d’Armes, où devait avoir lieu la proclamation sur une estrade spacieuse et couronnée de guirlandes. À ce moment, tout le corps judiciaire sortit du tribunal et vint se joindre au cortège, qui monta les degrés de l'estrade, autour de laquelle les sapeurs-pompiers et les vieux soldats de l'Empire formèrent le carré.


Quelques instants après, un roulement de tambour s'étant fait entendre, le silence s'établit partout; puis la musique de la Société philharmonique exécuta un air, après lequel M. le sous-préfet, debout et découvert, ainsi que tous ceux qui l’entouraient, lut d'une voix ferme et sonore le décret qui nomme Louis-Napoléon Bonaparte empereur des Français, sous le titre de Napoléon III. Le cri de « Vive l’Empereur! », poussé avec énergie par M. le sous-préfet, fut alors répété par toute l'assistance officielle.
Depuis le commencement de la proclamation, des pièces d'artillerie placées près de la salle d’asile, faisaient entendre leurs détonations.
Après être descendus de l’estrade, M. le sous-préfet et M. le maire, accompagné de ses adjoints, ont passé en revue les vétérans et la compagnie de pompiers, dont les chefs, nouvellement nommés par le pouvoir, ont été reconnus.
La revue terminée, le cortège est allé remettre le drapeau à la mairie, et de là s'est rendu à la sous-préfecture où tout le monde s’est séparé.
Cette journée marquante qui avait commencé par des actes de bienfaisance, a eu pour fin un banquet, auquel assistaient les chefs des principales autorités, la compagnie de pompiers et deux anciens soldats de l’Empire. Plusieurs toasts ont été portés: un à l'Empereur, l’autre au maire de Fougères et le troisième à l’union des autorités locales et à la compagnie des pompiers. Lorsque M. le sous-préfet eut porté le premier toast, une acclamation unanime et enthousiaste retentit dans toute la salle.
Dans la soirée, la population circulait dans les rues, pour jouir du spectacle des illuminations, qui, à part celles des édifices publics, étaient assez nombreuses
.

Ce 11 décembre 1852 également, le journal fougerais annonce le décès de M. Julien Janvier, adjoint au maire, homme dont le dévouement, la bonté et la charité sont appréciés de tous. Un épais voile de deuil couvre notre ville, écrit la Chronique, des regrets mêlés de larmes sont le triste concert que l’on entend de toutes parts et dont tous les cœurs conserveront longtemps l’écho. M. Janvier, adjoint au Maire de la ville de Fougères N’EXISTE PLUS! Dans le numéro suivant, de longues colonnes seront consacrées à Julien Janvier, originaire de Saint-Aubin-du-Cormier, à sa vie, à sa carrière et à son action municipale.

Après la proclamation officielle de l’Empire, ce ne sera pourtant que le 16 février 1853 que les édiles fougerais prêteront serment à Napoléon III, au cours d'une séance du conseil municipal dont l’ordre du jour ne commence pas par cette délibération précise, mais par celle qui tend à résoudre un problème d’hygiène place du Brûlis, sujette à un foyer d'infection ayant pour cause d’anciennes latrines d'un particulier mises à jour lors de l’élargissement de l'impasse. Le maire ayant ordonné la suppression de ces latrines fait alors procéder à la prestation de serment au nouvel empereur et propose que lui soit envoyé une adresse à l'occasion de son mariage.

Napoléon III et l'Impératrice Eugénie.

Au moment de son accession au trône, Napoléon III est âgé de 45 ans. Jusque-là, sa cousine germaine et ex-fiancée, la princesse Mathilde, faisait les honneurs de l’Elysée. Mais il est indispensable que l’Empereur se marie afin de se donner l’héritier sans lequel le nouveau régime risquerait bien de ne pas avoir de lendemain. Il faut aussi que Napoléon III règle le problème de sa longue liaison avec la jolie Miss Howard qui, se rappelant tous les services rendus à Louis-Napoléon, n’est pas sans espérer la couronne. Mais finalement, le 29 janvier 1853, Napoléon III épousait une belle comtesse espagnole: Eugénie de Montijo.

Mariage de Napoléon III et d’Eugénie de Montijo.

On ne peut pas dire que la municipalité fougeraise fut très empressée pour adresser ses vœux au souverain. Cela fait bientôt trois semaines que l’Empereur est marié lorsque les édiles fougerais lui écrivent:

Sire,
Après avoir assuré à la France l’ordre et la paix, vous avez songé à vous associer une femme suivant votre cœur et digne de partager votre haute destinée.
La France reconnaissante applaudit à votre union qui consolide le respect qu’elle vous doit. Fasse le Ciel qui jusqu’ici a béni vos efforts en vous accordant une protection visible, bénir aussi votre union et vous donner tous les genres de bonheur en retour des bienfaits que nous avons reçus de vous.
Ce sont, Sire, les vœux du conseil municipal de Fougères. Daignez les agréer ainsi que l’hommage de son profond respect et de son fidèle dévouement
.

Le 28 août 1855, le conseil municipal de Fougères est suspendu et remplacé par une Commission municipale dont le maire sera Aristide Martin, dit l’Aîné, qui revient aux affaires après avoir été révoqué en 1848.

Napoléon III et Eugénie avec le Prince Impérial.

Lorsque le Prince Impérial naîtra le 15 mars 1856, venant couronner la période sans doute la plus heureuse et la plus florissante du Second Empire, la municipalité de Fougères se réunit en une séance extraordinaire dès le 19 mars afin d’exprimer ses félicitations et son respectueux dévouement à Sa Majesté l’Empereur, à l’occasion de la nouvelle qui lui est officiellement parvenue de l’heureuse délivrance de Sa Majesté l’Impératrice et de la naissance d'un prince impérial.

Il est décidé unanimement d'envoyer une adresse à l'Empereur:

Sire,
Le pays attendait avec impatience l’heureux moment qui lui devait donner l'héritier direct de votre gloire et de votre nom.
À cette heure solennelle où la Providence vient visiblement affermir encore la dynastie à laquelle la France deux fois a dû son salut et sa grandeur, daignez nous permettre de déposer au pied du trône l’expression de notre respect, de notre dévouement, de notre amour pour la personne de Votre Majesté, pour celle de Votre Auguste et bien aimée Impératrice et pour le Prince Impérial dont le berceau renferme les espérances de l'avenir et le repos de la France.
Nous sommes, Sire, avec le plus profond respect, de Votre Majesté, les très humbles serviteurs et fidèles sujets
.

Le maire ajoute qu'un soulagement sera donné à la classe ouvrière soit le jour où sera chanté un Te Deum en l’honneur de la naissance du prince, soit le jour de son baptême, ce qui sera, dit-il, très agréable au Gouvernement. L’assemblée se range à son avis et vote un crédit de 1.600 francs qui sera mis à la disposition de l’administration pour être employé à une distribution de pain en faveur des familles nécessiteuses.

En 1857, on voit le maire inviter les Fougerais à assister au Te Deum solennel, chanté en l’église Saint-Sulpice, à l’occasion de la fête de l'Empereur (le 15 août) et à pavoiser et illuminer leurs maisons. Les autorités et la compagnie des sapeurs-pompiers sont priés d’assister à cette cérémonie.

L’attentat d’Orsini par Alexandre Waldow.
Source: gallica.bnf.fr - Bibliothèque nationame de France

Lorsque le 14 janvier 1858, Napoléon III et l'impératrice échappèrent à l'attentat d'Orsini alors qu'ils se rendaient à l’Opéra, le conseil municipal se réunit en session extraordinaire afin qu’une lettre de félicitations sur la manière dont Sa Majesté avait échappé à la tentative d’assassinat commis contre sa personne lui soit adressée:

Sire,
La Commission municipale de la Ville de Fougères s’empresse de venir déposer aux pieds du trône l’expression des sentiments qu’elle a éprouvés à la nouvelle de l’affreux attentat auquel Vos Majestés ont si miraculeusement échappé; sentiments de dévouement, d’admiration et de respectueuse sympathie pour votre auguste personne et celle de votre héroïque compagne; sentiments d’exécrations et d’une horreur profonde pour les hommes pervers qui ont conçu l’infernale pensée d’attenter à des jours si précieux pour la France.
Puisse, Sire, cette tentative, si merveilleusement déjouée par la Providence, rallier autour du trône de Votre Majesté, tous les hommes qui ont un cœur véritablement français, en leur montrant et à l’Europe toute entière que, dans la pensée des ennemis de l’ordre et de la société, votre existence est le plus grand obstacle qu’ils rencontrent à la réalisation de leurs criminels projets.
Nous avons l’honneur d'être, avec un profond respect, les très humbles serviteurs et très fidèles sujets
.

Orsini avait été le détonateur qui fit avancer cette guerre de libération dans laquelle Cavour aurait trouvé le moyen d'engager Napoléon III. Ce dernier n'avait pas voulu comprendre que Cavour désirait l’annexion au Piémont de toute la péninsule, Rome comprise. Tentant par la suite de se désengager, l’Empereur irritera les Piémontais et les catholiques français. Ayant favorisé l’unification italienne, il se mettra à dos l’Autriche, ce qui le mettra en fâcheuse posture face aux ambitions de Bismarck, le Cavour prussien.

Quoiqu'il en soit, Napoléon III aura aussi sa campagne d’Italie. En 1859, il part en campagne, Eugénie assure la régence. Le 4 juin, ce sera Magenta, le 24, la boucherie de Solférino... la paix précipitée de Villafranca le 7 juillet, qui n'apporte aucun avantage à la France. Le 17 juillet, Napoléon III rentre à Saint-Cloud.

Le 26 juillet 1859, nous voyons alors la municipalité de Fougères adresser cette lettre à l'empereur:

Sire,
Lorsque vous avez quitté le sol de la Patrie pour prendre le commandement de nos armées, la France a vu avec émotion votre départ et vous a suivi de ses vœux. Bientôt elle a admiré et votre génie et le courage irrésistible de nos soldats combattant sous vos yeux au milieu du triomphe de nos armes.
L’Europe a vu avec étonnement et la France avec orgueil, un triomphe nouveau, celui de la modération. Votre Majesté a su s'arrêter devant la Victoire lorsque l’intérêt de la France a été satisfait et que le but de la guerre s’est trouvé rempli.
Daignez, Sire, agréer l’expression de la reconnaissance et du dévouement des membres du conseil municipal de Fougères. Ils vous supplient en même temps de vouloir bien accueillir l’expression de leurs hommages et de leur dévouement pour l’Auguste Princesse qui a su si dignement vous remplacer pendant votre absence et pour le Prince Impérial en qui réside
espoir de la Patrie.
Nous sommes avec un profond respect, Sire, de Votre Majesté, les très humbles serviteurs et fidèles sujets
.

La guerre de 1870

Pendant que l’Empire perdait un peu de son caractère autoritaire, la tension franco-prussienne n’avait pas cessé. Bismarck juge indispensable une guerre contre la France et partout, depuis Sadowa, contrecarre la politique française. Napoléon se doute qu’il faudra en découdre mais essaie de gagner du temps en menant des négociations avec l’Autriche et l’Italie, à la conclusion problématique. Les Français sont loin de penser à la guerre et le Corps législatif vote, blâmé par Thiers, la réduction des effectifs. La France mésestime totalement la puissance prussienne.

Le chancelier Bismarck.

Bismarck va s’arranger pour laisser à la France le rôle d’agresseur. Ce sera l’affaire de la candidature de Léopold de Hohenzollern au trône d’Espagne, puis la fameuse dépêche d’Ems le 13 juillet 1870... La France tombe dans le piège préparé de longue date avec ruse et lucidité par Bismarck... le 19 juillet, la France déclare la guerre à la Prusse. L’Italie et l’Autriche se prononcent pour la neutralité, la France est bien seule. Le 28 juillet l’empereur part pour l'armée.

Malgré des combats héroïques, l’armée française perd bataille sur bataille. Le 1er septembre Napoléon III, après la défaite de Sedan, remet son épée à Guillaume 1er de Prusse; le 2 septembre, il se constitue prisonnier.

Napoléon III et Bismarck.

Le 4 septembre, à Paris, la déchéance de l’empereur est proclamée.

Le général Trochu, un sauveur de rechange dont on ne sait rien sinon qu’il est Breton, mal en Cour et gouverneur de Paris, préside un gouvernement de défense nationale composé de onze membres, tous députés de Paris, avec Léon Gambetta pour ministre de l’Intérieur.

Pendant ces dramatiques événements, que se passe-t-il à Fougères?

Dans ses pages du 30 juillet 1780, La Chronique de Fougères rapporte la proclamation de l’Empereur au peuple français qui tente de justifier la déclaration de guerre: En présence des nouvelles prétentions de la Prusse, nos réclamations se sont fait entendre, explique Napoléon III, elles ont été éludées et suivies de procédés dédaigneux. Notre pays en a ressenti une profonde irritation et aussitôt un cri de guerre a retenti d'un bout de la France à l’autre. Il ne nous reste plus qu’à confier nos destinées au sort des armes...

Je vais me mettre à la tête de cette vaillante armée, dit l’empereur, j’emmène mon fils avec moi, malgré son jeune âge, il est fier de prendre sa part dans les dangers de ceux qui combattent pour la patrie...

On apprend également que les 90.000 hommes de la classe de 1869 sont appelés sous les armes et que le ministre de la Justice adresse aux archevêques et évêques une circulaire dans laquelle il demande des prières publiques pour le succès de nos armes.

Le 6 août, le journal annonce la prise de Sarrebruck du 2 août et aussi le scrutin des élections municipales. Que l’électeur comprenne toute la valeur de son vote, rappelle La Chronique, car de bonnes élections municipales ont de précieuses conséquences; la répartition des impôts est équitable et logique, les biens de la commune produisent tout ce qu’ils peuvent produire et portent partout l’activité et la vie, le sort des travailleurs s’améliore, la misère s’enfuit avec l’ignorance.

Trois listes sont en lice. L’une est conduite par le baron Debordes de Chalendrey, maire depuis 1860; deux anciens maires figurent sur sa liste: Joseph Couyer de la Chesnardière et Aristide Martin son prédécesseur immédiat. Ils furent tous les trois réélus. La liste du maire obtint dix sièges et la liste du Commerce menée par Bourdon-Leker, conseiller sortant, six sièges. La troisième liste était curieusement semblable à la deuxième à l'exception de cinq noms. C'est ce que nous révèle le journal fougerais.

Une grande campagne de souscription patriotique est lancée dans l'arrondissement de Fougères. Chaque perception publie la liste des donateurs et les sommes versées. Si de gros propriétaires, comme le comte de la Bélinaye peut se permettre de verser 500 francs, beaucoup de petites gens participent à cet effort de guerre chacun selon ses moyens, la plupart des ouvriers ou petits artisans donnent 1 franc. L'instituteur de Chauvigné avec ses élèves réunit 2 F 50.

Le numéro du 20 août 1870 nous révèle qu'un ordre pressant, émanant de la sous-préfecture fougeraise, appelait les sapeurs-pompiers âgés de moins de quarante ans à se rendre très rapidement à Paris. Cette nouvelle, sans explication, commente La Chronique, qui laissait croire à tort à de graves événements dans la capitale, causa une bien pénible impression.

Les ordres furent expédiés dans toutes les directions et bientôt, on vit arriver à Fougères, fièrement et tambour battant, des détachements des compagnies de Louvigné, Saint-Brice-en-Coglès, Antrain et Saint-Ouen-la-Rouërie, commandés par leurs lieutenants, MM. Julien, Larcher, Roussin et Nicole.

Après quelques heures de repos, 51 de ces braves et dévoués soldats-citoyens partirent spontanément pour Paris, sous le commandement de l'énergique M. Larcher, par le train de 6 h 50 avec... - signale le journal, en y mettant nombre de points d'exclamation - ... UN seul sapeur-pompier fougerais, le sieur Broux. Arrivés à Vitré, les soldats du feu se joignirent à leurs collègues vitréens avant d'être solennellement reçus par le sous-préfet et le maire. À dix heures, accompagnée par une foule d’habitants, la troupe montait dans les wagons et arrivait le lendemain à Paris où elle fut logée dans la caserne des Invalides.

Les sapeurs-pompiers de Saint-Georges-de-Reintembault et de Bazouges-la-Pérouse n’arrivèrent que le lendemain à Fougères, où les attendait d'ailleurs un contre-ordre. Partis le mardi, les pompiers du pays de Fougères revinrent le samedi suivant. À 11 h 50, le tambour battait du côté de la gare de Fougères. Que se passe-t-il? Ce sont les sapeurs-pompiers qui descendent du train et qui se dirigent vers la mairie. On les entoure, on les questionne, on les félicite... on ne saura pas pourquoi ils sont revenus si vite.

Durant ce temps, les Fougerais âgés de 20 à 55 ans doivent s’inscrire à la mairie afin de figurer sur la liste de la garde nationale sédentaire.

Une tenue provisoire est distribuée: tunique en toile bleue garnie de boutons d’uniforme, col rouge ornée de deux pattes blanches de l’uniforme réglementaire (sans macarons), patte bleue avec liseré rouge sur les épaules; pantalon de toile bleue, liseré rouge sur les côtés; ceinturon de cuir verni noir, avec plaque, giberne et porte-baïonnette; un képi en drap bleu de roi, liseré rouge, visière carrée de quatre centimètres, le numéro du bataillon en rouge sur le bandeau.

Source: gallica.bnf.fr - Bibliothèque nationame de France

Le 20 août, on voit les gardes mobiles de l’arrondissement de Fougères remplir la place du Marché. On doit organiser les compagnies et commencer les exercices. La Chronique écrit que l’enthousiasme est général et que la jeunesse pleine d'énergie n’aspire qu’à marcher contre les hordes prussiennes. On vient de recevoir plus de mille fusils qui doivent leur être distribués

Puisque les hommes sont aux manœuvres, une annonce parue dans le journal demande, pour travailler dans les bureaux, des dames mariées ou célibataires, ayant une belle main d’écriture, connaissant le calcul et ayant des dispositions pour la comptabilité.

Le 17 août, le maire, le baron Debordes a démissionné. Jules Belliard assure l'intérim et est nommé maire provisoire ». Le 3 septembre, le conseil municipal nomme 12 membres au Conseil de recensement de la garde nationale et se propose de « rechercher les meilleurs moyens de conjurer la crise ouvrière qui pourrait éclater si l'on ne vient pas en aide aux industriels pour leur permettre de tenir leurs ateliers ouverts.

Puis, alors que la France est en pleine mutation politique puisque la Troisième République est proclamée, les élus fougerais doivent débattre d'une grave question: Doit-on préférer la vareuse à la tunique pour la garde nationale? Quelle étoffe doit-on choisir pour le képi? Les élus seront mobilisés sur cette question pendant trois séances consécutives.

En fait, ce sera La Chronique de Fougères qui nous renseignera sur la capitulation de l’Empereur et sur la proclamation de la République: Quel désastre! Quelle humiliation! Dans quel abîme nous ont jetés les hommes qui, d'un cœur léger, ont déclaré la guerre avec forfanterie sans y être préparés... Pauvre France!... La population parisienne, la garde nationale en tête, a sans effusion de sang, renversé l'Empire, qui n’était plus qu’une ombre depuis nos premières défaites, et proclamé la République.

Capitulation de Napoléon III.

Un nouveau sous-préfet est nommé à Fougères, il s’agit de M. Le Chartier. Cinq maires de l'arrondissement sont révoqués; parmi eux se trouve M. André Morel, maire de Javené et M. Bochin, maire de Louvigné. Les autres maires révoqués sont les maires de Tremblay, Antrain et Bazouges-la-Pérouse. Le Gouvernement provisoire dissout les conseils municipaux; les électeurs devront se présenter aux urnes le 25 septembre. Deux listes sont présentes pour ce scrutin, l’une conduite par M. Auffray, fabricant de chaussures et l’autre par M. Bourdon-Leker, conseiller sortant. Le scrutin est ouvert de six heures du matin à trois heures du soir. Monsieur Jules Beliard, figurant sur la première liste, sera élu maire de Fougères.

Pendant ce temps, un fabricant de chaussures, M. Eugène Madiot, écrit à la mairie: Messieurs, en organisant la défense, vous songerez aux blessés. Je vous offre ma propriété de Saint-François pour y établir une ambulance. Vous pourrez disposer de tous les objets qui s’y trouvent: literie, batterie de cuisine. En acceptant, vous me ferez grand plaisir.

Un peu partout, des personnes offrent des lits et du linge pour les blessés. À Fougères, M. Desbois que l’on continue de qualifier de procureur impérial offre trois lits, M. Ange Morel, un lit et M. Danjou un paquet de linge... à Louvigné, Ferdinand de La Riboisière met dix lits à la disposition des blessés dans sa propriété de Monthorin...

Après la capitulation de Sedan, si l'Empire est déchu et la République proclamée, la guerre n'est pas terminée pour autant. Le Gouvernement provisoire annonce sa volonté de maintenir l’intégralité du pays, mais les armées allemandes progressent et Bismarck entend bien cueillir le fruit de ses victoires. D'ailleurs, bientôt, Strasbourg et Metz capitulent. Les Prussiens reprennent Le Bourget. Paris est encerclé. Gambetta s'en échappe en ballon, les troupes françaises se battent avec héroïsme.

Albert de Dalmas (1821-1891)
Député d’Ille-et-Vilaine.

C'est ainsi qu’Albert de Dalmas écrit de Paris le 24 septembre 1870: Un ballon part demain, et j’en profite pour vous donner des nouvelles. Hier, les Prussiens ont été vigoureusement battus à Villejuif... aujourd'hui on se bat encore mais je ne sais où... Nous résisterons énergiquement et longtemps...
...Le bataillon de Fougères assistait,
écrit-il, à la bataille de Châtillon. Il s’est bravement conduit et s’est battu à peu près toute la matinée. La retraite des zouaves a jeté le trouble dans les rangs mais les mobiles de Fougères ont tenu bon. M. de la Villegontier avec deux cents hommes ne s'est retiré qu’à sept heures du soir et est rentré à 10 heures à Paris. Il ne paraît pas y avoir un seul tué, 10 à 12 blessés seulement parmi les soldats et pas gravement. La compagnie d’Antrain a fait sauter le pont de Sèvres en se retirant. On parle aujourd'hui d’armistice. J’ignore si cela est vrai, mais ce matin, on se battait du côté de Montmartre et la ville est bien résolue à se défendre.

Ce sera à chaque fois le même processus. Des prodiges de valeur, la belle conduite des troupes de métier, des chasseurs, des zouaves pontificaux, mais pour finir, nos jeunes recrues lâchent pied et l’implacable machine de guerre prussienne l’emporte. On apprend que les mobiles peuvent confier du courrier aux ballons télégraphiques et ainsi donner de leurs nouvelles ce qui est confirmé par le député dans une lettre envoyée de Paris au sous-préfet le 15 octobre 1870: Mon cher sous-préfet, je vous envoie tout un paquet de lettres que les mobiles de votre arrondissement m'ont confiées. Elles partent dans un ballon du télégraphe et de cette façon, elles ne resteront pas 8 à 10 jours dans les oubliettes de l'administration...

Tandis qu’à Fleurigné, on déplore les ravages effectués dans les troupeaux par les loups, des travaux de défense sont mis en place dans le département. Ainsi sur les banquettes des routes, de larges fossés ont été ouverts, de sorte qu’au premier signal d’invasion, les routes pourront être entièrement coupées.

Le 1er novembre 1870, Thiers engage des négociations à Versailles. Le 4 novembre, Belfort tombe aux mains des Prussiens, le 9 l’armée de la Loire reprend Orléans. Devant la menace, on s’organise. Les blessés sont nombreux. Le 14 novembre, une réunion publique a lieu à la sous-préfecture; elle a pour but d’organiser une société de secours aux militaires blessés, d’entretenir des ambulances, et ce, au niveau de l’arrondissement de Fougères. Un Comité de 13 membres est élu le 16 novembre. Le maire de Fougères, M. Belliard est nommé président honoraire; le Comte César de La Bélinaye, président; MM. Marionneau et Maupillé, vice-présidents; M. Gandon, trésorier; Miniac et Desdouets, secrétaires.

Aussitôt élu, le Comité demande son affiliation au Comité rennais dans le but de contribuer avec lui à la formation des ambulances mobilisables de l’Armée de Bretagne. Il demande également aux femmes de s’organiser autour de la supérieure des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul afin de constituer, elles-aussi, un comité qui sera appelé à seconder le comité des hommes. Une circulaire est adressée aux maires, curés et notables de l'arrondissement pour les prier de concourir de tous leurs efforts au succès de l'œuvre entreprise.

Puis, dans une circulaire générale, le Comité, déclarant n’agir sans arrière-pensée politique mais que pour le seul soulagement des souffrances, appelle tous les habitants de l’arrondissement à participer suivant leurs moyens à cette œuvre d’humanité et de patriotisme. Le Comité, enfin, décide de se réunir tous les mardis à la mairie de Fougères. Le 25 novembre, le Comité fait part de l’empressement avec lequel les dames de Fougères ont répondu à l’appel lancé. Elles ont désigné Madame la comtesse de La Villegontier comme présidente. Déjà on commence les quêtes et les collectes de linges, charpies, etc.

Mobilisation du Pays de Fougères pour les soins à apporter aux blessés

Alors que les armées françaises sont défaites à Beaune-la-Rolande le 28 novembre, le Comité de Fougères rapporte que partout, dans les cantons de Louvigné, d’Antrain, Saint-Brice et Saint-Aubin, on trouve des bonnes volontés pour apporter de l’aide aux blessés. Des propriétaires offrent des lits dans leur maison, et beaucoup de personnes qui ne désirent pas recevoir un blessé chez elles, préfèrent payer une certaine somme par jour et par lit qui seront mis à disposition dans les hospices. On prévoit que les lits seront entretenus par abonnement.

Les secours aux blessés s'organisent. Les communes rurales apportent également leur contribution en mettant notamment des lits à disposition dans les écoles, c’est le cas à Billé, Beaucé, La Selle-en-Luitré, Luitré. Il en est de même dans les presbytères, les couvents - le couvent de Rillé met 25 lits à disposition et se charge de tous les soins - la Maison de la Retraite: 10 lits, l’hospice civil: 20 lits, Saint-Louis: 30 lits, le collège de Fougères: 30 lits et même la prison offre 25 lits, etc.

Dans le canton d’Antrain, les écoles s’ouvrent à Bazouges-la-Pérouse, Chauvigné, Rimou, Tremblay; dans celui de Louvigné: les écoles de La Bazouge-du-Désert, Le Ferré, Louvigné, Saint-Georges-de-Reintembault; dans celui de Saint-Aubin-du-Cormier: les écoles de Mézières-sur-Couesnon, Saint-Aubin, Saint-Jean et dans le canton de Saint-Brice-en-Coglès, l’école de Saint-Hilaire-des-Landes offre 10 lits, tout comme la communauté religieuse de Saint-Brice. À cela, il faut ajouter un nombre considérable de particuliers qui répondent généreusement à l’appel lancé par les comités en offrant un ou plusieurs lits à leur domicile.

Tandis qu'à Saint-Brice, le Président du Comité des hommes, M. de la Touche et la Présidente du Comité des femmes, Madame de la Touche, organisent une quête publique en décembre 1870 auprès des habitants de la petite ville, qui rapporte 1.226 francs et 65 centimes, le maire précise que les religieuses de Saint-Brice mettent une salle à la disposition des blessés et que des dames de la ville se proposent d’aller y donner les soins. Le Comité briçois, après avoir fait appel aux sentiments généreux et patriotiques des habitants, réunissent la somme de 1.200 francs.

Le maire de la ville d’Antrain écrit au Comité de Fougères pour donner la liste des personnes qui veulent bien prendre des blessés chez elles en précisant toutefois que ses concitoyens à l’âme charitable demandent expressément qu’on leur envoie des blessés et non pas des malades, dans la crainte, disent-ils, des maladies contagieuses. D'autres seraient prêts à prendre un blessé ou un malade chez eux si l'administration donnait un peu d'argent pour subvenir à leurs besoins.

Et comme il faut venir chercher les blessés à Fougères, le maire d’Antrain précise qu’un brave Antrainais disposant d'une voiture suspendue, se fera un plaisir de se charger du transport avec sa voiture de paysan sur laquelle il a installé une bâche. Au château de Bonnefontaine, Mme de Guiton, restée seule après le départ à la guerre de son mari où il s’est engagé, prend en charge tous les soins à donner aux blessés. Il est possible, dit-on, qu’elle quitte son château pour se donner toute entière à cette tâche auprès des blessés qui se trouveront à Antrain.

À Louvigné-du-Désert, 23 lits sont prêts chez les particuliers dont 10 au château de Monthorin, mis à disposition par le comte Ferdinand de La Riboisière et M. Paul Lelong. Un comité s’est également constitué sous la présidence du maire, M. Bochin. Très actif, il dresse bientôt une deuxième liste qui fournira 33 lits supplémentaires. M. Lahaye, médecin à Louvigné, offre de soigner gratuitement les blessés et M. Lemonnier, le pharmacien, de fournir, à prix de revient, tous les médicaments qui seront nécessaires. Comme à Antrain, on accepte volontiers les blessés mais non pas les malades qui pourraient provenir des hôpitaux.

Malgré toutes les bonnes volontés et la générosité publique, il faut malgré tout faire face à des dépenses indispensables. Prévoir des lits c'est une chose, nourrir les hommes en est une autre, il faut aussi du matériel, du linge, etc. Les comités sont parfois démunis de tout, bien que chacun apporte tout ce qu’il peut.

L’ambulance de la Société Saint-Louis-de-Gonzague a dépensé, pour un effectif de 20 blessés, 166 francs en achats indispensables, à savoir, 20 vases de nuit à 1,50 F, autant de couverts en fer battu et de gamelles en fer étamé. Elle a dû également acheter un fourneau pour la cuisinière qui, à lui seul, a coûté 120 F. La société calcule le prix de revient journalier d'un blessé, soit 1,72 F par homme, compte tenu de la nourriture, de l’éclairage, du chauffage, du blanchissage, de la pharmacie et de la nourriture de deux infirmières bénévoles. Avec le capital dont elle dispose, la société Saint-Louis-de-Gonzague pourra tenir 103 jours... pas un de plus, si elle ne parvient pas à trouver d’autres ressources. Parallèlement à ce travail énorme des Comités d’aide aux blessés, la mairie de Fougères lance une souscription près des Fougerais, destinée à couvrir un emprunt fait par la ville pour les frais d’équipement et d’entretien des mobilisés.

La garde nationale sédentaire est avisée qu'à partir du 29 novembre, les exercices organisés sur le Champ-de-Foire deviennent obligatoires sous peine d’amendes et de peines disciplinaires.

Le 24 novembre, les mobilisés de Fougères quittent la ville pour rejoindre le 2ème Bataillon d’Ille-et-Vilaine. Avant d’être conduits à la gare au son des tambours et aux accents de la musique, où les attend le sous-préfet, ils se réunissent à l’église Saint-Léonard pour assister, à 5 heures du matin, à la messe célébrée par le curé de la paroisse qui leur adresse une allocution pleine de cœur et de patriotisme. Conservez précieusement ce trésor de la foi, leur conseille-t-il, ce sera votre unique consolation dans les terribles épreuves qui vous attendent sur les champs de bataille. Soyez soumis à vos chefs et observez la discipline militaire, la fidélité à vos devoirs... Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir!.

Après la guerre, ce monument aux Mobiles fut élevé dans la chapelle sud de l’église Saint-Léonard. Il fut silencieusement détruit lors de travaux dans cette chapelle et remplacé par une plaque commémorative au grand dam des anciens combattants.

Après ces bonnes paroles qui, dit-on, émurent l’assistance jusqu'aux larmes, à 6 heures, un cortège formé du maire entouré de son conseil municipal, de la garde nationale, des sapeurs-pompiers, se joint aux jeunes mobilisés fougerais pour les conduire à la gare.

Les Rouxières.

De sa propriété des Rouxières, en Châtillon-en-Vendelais, Madame de Montluc, née Méaulle, qui, avec beaucoup de charme, savait manier la poésie, faisait publier ces vers:

À nos Mobiles Bretons
Braves enfants de ma chère Bretagne
Partez, courez au secours de Paris!
Allez chasser ces hordes d’Allemagne
Dont le pied souille encore notre pays.
Vaincre ou mourir, voilà votre devise!
Peut-être un jour pourrez-vous de vos mains
Courber bien bas la vieille tête grise
Du monstre-roi qui commande aux Germains!
Ces monstres ont cerné la capitale
Qui se débat contre ses oppresseurs!
Bretons, sauvez la ville sans rivale...
Levez-vous tous et vous serez vainqueurs!
Il fait brûler nos cités, nos villages
Il détruit tout par le fer et le feu
Que ses forfaits exaltent vos courages
Vous servirez la justice de Dieu!
Oui, vous vaincrez ces hommes sans entrailles
Qui font périr des femmes, des vieillards
Vous les vaincrez au milieu des batailles
En combattant sous nos saints étendards.
N'épargnez pas son ministre perfide
Qui fait couler le noble sang français
Allez, Bretons, où le devoir vous guide
Puisse le Ciel vous donner le succès!
Vous les vaincrez car c'est la guerre sainte
Vous châtierez ces hommes criminels
Qui font périr, enfermés dans l'enceinte
Ceux qui priaient aux pieds de nos autels.
Partez, enfants de la noble Bretagne
Levez-vous tous pour délivrer Paris
Chassez bien loin ces hordes d’Allemagne
Nous vous devrons le salut du pays!
et de terminer par cette prière:

Dieu de bonté, sauvez la noble France
Vous seul pouvez nous rendre triomphants
En vous j’ai mis toute mon espérance
Sauvez Paris... Rendez-moi mes enfants!


Pour faire face aux dépenses de défense nationale, la ville de Fougères est frappée d'un nouveau contingent d'imposition, soit 28.665 francs. Cette somme doit être versée pour le 30 novembre, ce qui porte à plus de 66.000 francs le contingent de Fougères. Aussi, l’avons-nous dit, une souscription a-t-elle été lancée pour couvrir cette dépense. Les Fougerais, sollicités de toutes parts, ne semblent pas répondre aussi facilement à cette nouvelle demande. Le directeur de La Chronique de Fougères, M. Douchin, s’insurge dans ses colonnes du 26 novembre: On demande 66.507 F: sait-on combien depuis 17 jours, il a été souscrit? - 22.000 F !!! C'est avec peine, c'est avec confusion que nous enregistrons un pareil résultat. Quoi, à Fougères, on ne trouverait qu’une telle somme de disponible pour un but éminemment patriotique et à l’heure où il faut être prêt à tous les sacrifices pour sauver notre chère France! Oh! cela n’est pas possible! Nous savons qu’il y a une crise financière, que l’argent a peur; mais, quoi qu’il en soit, il n’est pas tellement rare de trouver ici soixante et quelques mille francs, parfaitement garantis d’ailleurs par la commune. Que ceux de nos concitoyens qui ont des capitaux en réserve ou peuvent s’en procurer y réfléchissent: s’ils persistaient, mus par des sentiments inavouables, à rester sourds à l’appel pressant qui leur est fait, ils se verraient imposés d’office, ce qui serait une tache pour notre cité.

Départ de Gambetta pour Tours - 7 octobre 1870.
Source: gallica.bnf.fr - Bibliothèque nationame de France

Les Fougerais sont dans le moment-même occupés à regarder passer un ballon sur la ville. La curiosité des habitants a été si excitée, écrit-on, qu'on en oubliait qu’il apportait des bonnes nouvelles. Singulière coïncidence, poursuit-on, ce ballon, alla prendre terre juste dans la ville natale du général Trochu, à Belle-Isle-en-Mer tandis que l’évêque de Nantes offrait au Gouvernement les cloches de sa cathédrale pour faire fondre un canon.

Le 10 décembre, le même journal annonce avec plaisir la clôture de l’emprunt qui a été couvert intégralement et donne la liste des souscripteurs avec le montant des sommes versées. Le même jour, le général Chanzy résiste sur les lignes de Josnes; un mois plus tard, les 10-11 janvier 1871, il sera défait au Mans. Les Prussiens arrivent à Sillé-le-Guillaume et s'avancent jusqu'à Évron. Le bruit d'une attaque de Laval se répand, les ingénieurs en ont miné le viaduc alors que l'arrivée des troupes allemandes semble imminente.

L'apparition de Pontmain.

Le 17 janvier 1871, tout près de là, la Vierge d'Espérance apparaît à des enfants dans le ciel de Pontmain. Priez, mes enfants, dit l'Auguste Messagère, Dieu vous exaucera en peu de temps, mon Fils se laisse toucher. Les Prussiens n'iront pas plus loin. Le 18 janvier, l'Empire allemand est proclamé à Versailles.

La Proclamation de l'Empire allemand à Versailles.

Le journal fougerais ne dit mot de ces deux événements mais signale dans son édition du 21 janvier 1871 qu’à la suite de la retraite du général Chanzy, la ville de Fougères a été envahie pendant huit jours par un nombre considérable de soldats français de tous corps qui sont venus demander avec insistance l'hospitalité.

Les uns paraissaient exténués de fatigue, les autres souffrants: ils avaient combattu, fait des marches longues et précipitées et subi de dures privations. Spectacle navrant! La population fougeraise, écrit le journal, quoique écrasée par les charges militaires, a fait aux défenseurs du pays un accueil dont ces derniers se sont montrés bien reconnaissants, car ils n'avaient pas été reçus partout de la même façon.

D’ailleurs, le commandant du 8ème Bataillon de la légion de Saint-Brieuc ne peut quitter la ville de Fougères sans remercier tout particulièrement M. de Penenprat, principal du collège, de l'accueil si bienveillant qu’il a fait aux gardes mobilisés logés dans son établissement le 19 janvier. On apprend par ailleurs que 28 soldats hanovriens avec un sergent major et un fourrier prussien, faits prisonniers près du camp de Conlie par un détachement de dragons, ont été amenés à Fougères par des gendarmes et internés à la prison de la ville. On raconte qu’ils étaient vêtus assez misérablement. Sauf un qui était blessé, ils étaient alertes et bien portants. La plupart d’entre eux avaient une physionomie fort intelligente et regardaient en souriant ironiquement ou d’un air hautain la foule de curieux qui les entourait. Lorsqu’on les conduisit à la maison d’arrêt, le sergent-major réalisa qu’on allait l’enfermer. Il dit: prisonne! et demanda au fourrier du cognac pour se remettre de son émotion. De leur conversation, le journal a retenu ceci: Guillaume bon mais Bismarck capout. Aimer mieux être en Allemagne avec papa et maman, mais Prusse a voulu la guerre. Ces prisonniers furent transférés à Rennes les jours suivants.

Le 28 janvier 1871, la France signe l’armistice avec l’Allemagne. Ce même jour, La Chronique de Fougères écrit: Dans l’Ouest, aucun incident notable, l’ennemi paraît se replier. Le département de la Mayenne est libre, Alençon est évacuée.

Quelques mois encore, et beaucoup d’épreuves pour la France: l'entrée des troupes allemandes à Paris, la Commune, la Semaine sanglante, puis enfin une meilleure stabilité politique et l’évacuation des troupes d’occupation. Nous sommes déjà en 1873, Napoléon III est mort le 9 janvier, en terre étrangère.

Désormais Fougères s’abstiendra de déclarations d’allégeance fracassantes, la République semblait vouloir s’installer pour longtemps.


Bibliographies et sources