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Incendie rue de Rillé

En 1889, l'incendie de la rue de Rillé

DDans la nuit du mercredi 26 au jeudi 27 juin 1889, un terrible incendie, aux conséquences dramatiques, se déclara rue de Rillé, au lieu alors appelé Bellevue. Sans doute y avait-on une belle vue sur le château car, en fait, il s’agissait d’une sorte d’impasse qui existe encore de nos jours, débouchant au n° 81 de la rue de Rillé. À l’autre extrémité de cette impasse, un sentier permettait d’accéder à la ruelle des Flambards, à la Petite ValléeIl s’agissait d’un petit vallon situé au bord du chemin qui surplombait la <i>Grande Vallée</i> traversée par le ruisseau de Neuville, aujourd’hui engloutie par l’extension de la carrière de Californie dans laquelle se trouvait, à mi-pente, une maison d’habitation dont l’accès était particulièrement difficile., à la Prée au SœursLes religieuses de la congrégation de Rillé possédaient un champ près de la ferme de Folleville où elles faisaient paître les vaches de la communauté. et aux fermes de Neuville et de Folleville.

Ces lieux, disparus aujourd’hui – ils furent peu à peu grignotés par l’extension de la carrière – sont restés chers dans le souvenir des enfants de ma génération des quartiers des rues de Rillé et de l’Echange qui s’y retrouvaient pendant les vacances d’été. Nous y jouions joyeusement sous l’œil attentif de nos mères qui, tout en faisant la causette entre voisines, s’affairaient à quelque ouvrage de tricot ou de couture. Nous rencontrions très souvent Pauline Montembault, partie en promenade de Sainte-Marthe avec sa bande d’enfants des deux sexes.

À mon époque, nous n’appelions plus cette impasse Bellevue mais La Remouletterie parce qu’elle était occupée par des remouleurs et des chiffonniers qui sillonnaient nos quartiers aux cris de Peaux, peaux... peaux d’lapin. C’était une sorte de Cour des Miracles, assez malfâmée où les rixes étaient fréquentes. C’est dire que nous évitions d’y passer, de peur, notre imagination d’enfant très féconde, et l’interdiction faite par nos parents aidant, d’y faire une mauvaise rencontre.

Mais en 1889, les remouleurs n’avaient pas encore occupé le site. Il y existait une ancienne fabrique de tissage, vaste bâtiment, qui avait été transformé en logements, une sorte de phalanstèreCommunauté, association de travailleurs, domaine ou vit et travaille cette communauté chère au système du philosophe et économiste Charles Fourier. occupé par 19 ménages ouvriers et pauvres, chargés d’enfants.

Ce fut dans le logement occupé par le propriétaire, Amand Brillet, ouvrier lui-aussi, situé à une extrémité du bâtiment, que le feu prit peu avant minuit. La famille était couchée depuis 21 h 30 environ lorsque le père fut réveillé par sa fille âgée de 8 ans qui lui dit que le feu était dans le grenier.

Effectivement, arrivé sur place, Amand Brillet constata que les flammes avaient déjà envahi tout l’espace. Il eut juste le temps de réveiller sa femme et ses autres enfants, de les faire sortir dans la cour et d’alarmer tous ses locataires.

Le bâtiment, à part ses murs principaux, était construit en bois, de sorte que le feu se propagea avec une extrême rapidité, gagnant bientôt tout l’édifice.

Tous les voisins accoururent, tentant de sauver tout ce qui pouvait l’être, en attendant la venue des pompiers. La violence de l’incendie était telle qu’il fallut se résoudre à abandonner tous les logements. Les malheureux locataires virent ainsi, impuissants, leur maigre petit avoir disparaître en totalité dans les flammes.

Devant l’ampleur du sinistre, les pompiers, comble du sort, manquèrent rapidement d’eau. Un piquet de l’Escadron du Train des Équipages des Urbanistes assurait le service de la chaîne des seaux, de la pompe à l’incendie, mais cela ne suffit pas.

Les pompiers réussirent néanmoins à préserver quelques constructions contiguës, utilisées comme logements et magasins. On crut un moment que la rue toute entière allait être menacée. Les journaux fougerais de l’époque qui relatent l’événement rapportent qu’ une foule énorme s’est rendue sur les lieux du sinistre et beaucoup de courageux citoyens ont joint leurs efforts à ceux des pompiers.

Un des pompiers commandés en l’absence du capitaine Joseph Barbelet, par le lieutenant Jean-Marie Brillet, le caporal Izard, faillit être victime de son dévouement. Grimpé sur un mur haut de six mètres qui s’écroula, on vit le brave soldat du feu tomber avec lui dans le brasier. Mais Izard, grâce à son adresse et à sa présence d’esprit, se tira d’affaire et réapparut bientôt, sortant du milieu des flammes, au grand soulagement de tous ceux qui étaient là. On dit qu’il sortit sain et sauf avec une petite brûlure aux doigts.

La compagnie de pompiers de Fougères, à l’époque, était constituée de bénévoles. Les listes nominatives conservées aux Archives municipales de la ville, font état d’un grand nombre d’artisans et d’ouvriers parmi lesquels se trouvaient beaucoup de chaussonniers. Quant au héros de cette malheureuse tragédie, Marie-Baptiste Izard, il exerce la profession de peintre. Il est né à Fougères le 1er octobre 1848 rue de Vitré. Son père, François Izard, est gendarme à cheval et sa mère, Marie Lainé, est sans profession.

Marie-Baptiste Izard, au moment de l’incendie, habitait aussi la rue de Rillé. Il était donc aux premières loges pour venir au secours de ses voisins. Si les journaux saluent son courage et minimisent les conséquences de sa chute dans les flammes du haut d’un mur de six mètres – souvenons-nous de la petite brûlure aux doigts – on peut s’interroger sur le fait que cet homme de 41 ans, en pleine forme physique semble-t-il au moment de l’incendie, meure cinq mois plus tard, le 16 novembre de cette même année 1889.

Tout Fougères fut bientôt informée de ce qui se passait rue de Rillé. Arrivèrent rapidement sur les lieux: le nouveau sous-préfet de Fougères, Théodore LemasThéodore Lemas est aussi connu pour son ouvrage sur la Révolution à Fougères., qui avait pris ses fonctions le 24 mai précédent, Germain BoulaisLe maire, Alexandre Tropée, s’était retiré trois mois plus tôt. Germain Boulais sera élu le 30 juin., conseiller municipal, qui assure la fonction de maire, le juge d’instruction Huet-Labrousse, Daguet, le juge de Fougères, représentant le procureur de la République, plusieurs officiers de la garnison, le commissaire de police et ses agents.

À 4 heures, enfin, tout danger semble écarté, les décombres finissent de se consumer. Un service de surveillance est mis en place. Quant aux victimes de l’incendie, elles se retrouvent d’un coup sans pain, sans vêtements, sans meubles, privées du strict nécessaire et sans logement. Un vrai drame pour elles! Dix-sept familles souvent chargées d’enfants, dont seules cinq sont assurées, se trouvent ainsi dans le plus grand dénuement.

La liste des sinistrés qui a été dressée nous permet de mieux mesurer la situation et la détresse de chacun.

Avec le propriétaire, Amand Brillet, qui est assuré pour son immeuble à la Compagnie L’Union et à L’Aigle pour son mobilier, les cinq autres familles qui avaient eu cette précaution de souscrire une assurance, se trouvent assurées à L’Aigle: Pierre Delamarche, chaussonnier, Joseph Martin, également chaussonnier, Joseph Jourdain, coupeur et la veuve Bourgin, aussi chaussonnière. Quant à François Battais, chaussonnier lui aussi, il est assuré à la Compagnie La Confiance.

Ces compagnies d’assurances fougeraises ne faillirent pas à leurs obligations vis-à-vis de leurs clients et réglèrent très rapidement les sommes dues. Dès le 2 juillet, c’est-à-dire dans la semaine qui suivit l’incendie, l’information est donnée par la Chronique de Fougères. L’incendie avait provoqué tant d’émotion à Fougères que c’était là une belle occasion pour les compagnies d’assurances de se faire de la publicité... Tant de gens qui n’en avaient pas les moyens ou pas forcément envie n’étaient pas assurés!

On lit en effet: Les soussignés Brillet, Delamarche, Martin et Jourdain, demeurant à Fougères, certifient que la Compagnie L’Aigle représentée par M. Rébillon, agent général à Fougères, boulevard de Rennes n°30, leur a parfaitement réglé le montant des dommages causés à leurs mobiliers détruits par l’incendie arrivé dans la nuit du 26 au 27 juin dernier. Et pour l’autre compagnie: La famille Battais incendiée de Rillé, remercie la Compagnie La Confiance ainsi que son agent général, M. P. Godard, de l’empressement qu’ils ont apporté dans le règlement de son sinistre.

Le 13 juillet, c’est le propriétaire, M. Brillet, qui fait annoncer que la Compagnie L’Union lui a réglé de suite plus de 10.000 F pour le bâtiment incendié par l’entremise de M. Durand, agent général à Fougères. Je n’ai qu’à me louer de la compagnie et de son agent précise-t-il.

Les assurances souscrites permirent sans doute à ces familles de racheter au moins le nécessaire pour reprendre à nouveau le chemin d’une vie d’ouvriers pauvres qui resterait malgré tout assez misérable.

Pour ce qui concerne les douze autres familles restantes, non assurées, elles sont constituées de 20 adultes et de 32 enfants (voir tableau ci-dessous). Elles exercent toutes la profession de chaussonnier à l’exception de Jean Marie Pinault qui est casseur de bois, dur métier qui ne devait pas être très lucratif.

NomÉpouseEnfantsProfessionDégâts
Veuve Rochelle (49 ans)1 (12 ans)
François Martin (42 ans)36 ans4 (12,10,7,4 ans)ChaussonnierÀ sauvé une armoire et quelques vêtements
Veuve Fougerais (47 ans)4 (dont 2 de 12 et 7 ans)Chaussonnière
Romain Chauvin (39 ans)Veuf4 (17,15,8 et 4 ans)ChaussonnierÀ perdu ses outils et la moitié de son mobilier
Jean Marie Pinault (35 ans)29 ans2 (4 et 2 ans)Casseur de boisÀ tout perdu
Veuve Jardin (51 ans)1 (21 ans)ChaussonnièreÀ tout perdu
Valentin Delanoë (54 ans)MariéParalyséÀ perdu la moitié de son mobilier
Veuve Heude (74 ans) et sa fille la veuve Taligot (50 ans) 2 (20 et 15 ans) chaussonnièreTout le mobilier a été brûlé
Olivier (38 ans)30 ans6 (13,11,10,7,5 et 4 ans)Le mobilier a été brisé
Louis Clossais (52 ans)42 ans4 (22,17,5 et 3 ans)ChaussonnierLa moitié du mobilier a été brûlé
Eugène Richard (37 ans)39 ans3 (15, 6 ans et 18 mois)ChaussonnierÀ tout perdu
Jean-Marie Taligot (19 ans)16 ans1 (3 mois)ChaussonnierÀ tout perdu

Comme cela est courant, des ouvriers de la chaussure travaillent à domicile comme Romain Chauvin qui a pu sauver la moitié de son mobilier mais a perdu tous ses outils, ou encore la veuve Fougerais qui en perdant tout son ménage a aussi perdu seize paires de chaussures appartenant à M. Cordier.

Dans un premier temps, M. Boulais, qui fait office de maire de la ville, fait distribuer quelques secours en bons de pain et en argent. Des personnes charitables prêtent des vêtements à ceux qui avaient dû s’enfuir de chez eux sans avoir eu le temps de s’habiller. D’autres relogèrent provisoirement quelques familles.

M. Boulais fait aussi appel au Gouvernement par l’intermédiaire de Théodore Lemas, sous-préfet. Une somme de 500 F est promise. Le préfet d’Ille-et-Vilaine fait prélever 200 F sur les fonds départementaux pour être distribués par mandat nominatif aux plus nécessiteux. Finalement, ce sera le Bureau de Bienfaisance de la ville qui sera chargé de la répartition de ce secours. La municipalité fougeraise quant à elle, lors de sa séance du Conseil municipal du 30 juin 1889, autorise M. Boulais à prélever 200 F sur les dépenses imprévues afin de venir en aide aux incendiés, constatant que la misère est tellement grande qu’il faut la soulager au plus vite.

Très actif, M. Boulais, qui pourtant quelques temps plus tard sera suspendu puis mis en état d’arrestation pour faux, concussion et fraudes électorales ne ménage pas sa peine. Il provoque la formation d’un Comité qui fera appel à la charité publique en faveur de tous ces malheureux. Tous les dons en nature et en argent sont acceptés. La répartition se fera par les soins d’une Commission composée de M. Boulais, Ganzin et Lefort, proportionnellement aux besoins des familles.

Des listes de souscriptions sont déposées dans la plupart des cafés, des restaurants et des hôtels de Fougères. Les journaux locaux reçoivent les offrandes de leurs lecteurs tandis que des hommes dévoués font du porte à porte pour quêter à domicile dans tous les quartiers de la ville.

Le besoin de logement est crucial. Les propriétaires hésitent à louer à des gens qui n’ont plus ni mobilier, ni argent et n’offrent aucune garantie. Pour parer à cette difficulté, le Comité décide de payer, sur les fonds qui seront récoltés, un semestre de loyer, à la condition que celui-ci ne dépasse pas 30 F, ce qui entraînera une dépense de 450 F.

On procède à l’estimation des besoins de chaque famille. Les quêtes et souscriptions cesseront dès que la somme requise sera atteinte. Le Comité décide que tous les secours seront distribués en nature. Chaque ménage recevra une feuille en tête de laquelle sera portée la somme allouée. Les fournisseurs y inscriront les commandes qui leur seront faites par les sinistrés, mais ne feront leur livraison qu’après visa du Comité. Ainsi, espère-t-on éviter des abus toujours possibles.

La population fougeraise répondra généreusement à l’appel qui lui a été lancé. La presse rapporte que tous, riches ou pauvres, ont voulu contribuer à cette bonne action et rien n’était plus touchant que de voir toutes les familles d’ouvriers prélever une offrande sur leur modeste salaire, aussi les listes sont-elles indéfiniment prolongées et la recette a été superbe.

En effet, à la date du 5 juillet, c’est une somme de 2.832,50 F qui a été récoltée, à laquelle s’ajoute 500 F donnés par le comte Ferdinand de La Riboisière, les 500 F envoyés par l’État et les 200 F du préfet, soit une somme totale de plus de 4.000 F qui seront intégralement répartis aux familles sinistrées.

Les Archives municipales conservent le registre des délibérations du Bureau de Bienfaisance de l’époque. Nous y retrouvons, le 25 juillet 1889, la répartition qui a été faite de la somme de 500 F envoyée par le Ministère de l’Intérieur. On y précise que les fonds attribués seront distribués en nature et non en argent comme initialement prévu, soit en bois de chauffage, en mobilier ou en secours de loyer, en tenant compte de la situation de chaque ménage, notamment en fonction de sa charge de famille.

Comme le précise le tableau du registre reproduit ci-dessous, reçurent ainsi:

1Veuve Rochelle – 1 enfant 12 ans30 F
2Martin François, le père, la mère et 4 enfants jeunes, bonne conduite, très intéressant55 F
3Veuve Fougeray – 3 enfants40 F
4Chauvin, veuf - 4 enfants dont 2 en âge de travailler40 F
5Pinault, sa femme et 2 enfants en bas âge40 F
6Veuve Jardin, 1 fils de 21 ans30 F
7Delanoë, infirme, sa femme peu en état de travailler35 F
8Veuve Heude, 74 ans, et sa fille veuve Taligot, 50 ans, 2 enfants de 20 ans et 15 ans en âge de travailler40 F
9Olivier et sa femme et 6 enfants jeunes50 F
10Clossais, sa femme et 3 enfants dont un travaille40 F
11Richard, sa femme et 3 enfants40 F
12Taligot, sa femme et un jeune enfant30 F
13Massé, sa femme et un jeune enfant30 F
TOTAL500 F

Après ce remarquable élan de générosité envers des familles ouvrières accablées, chacun retourna à sa fabrique et à ses vacations ordinaires. La presse locale ne parla plus des sinistrés de la rue de Rillé. Elle allait bientôt s’enflammer pour d’autres affaires fougeraises: les premières grèves ouvrières aux usines Rollin-Morel et Houssay, la crise municipale de l’automne 1890, l’arrestation et l’incarcération du maire Germain Boulais, sa démission le 4 mars 1891 et les nouvelles élections municipales...

Tout un programme d’histoires particulières qui pourraient être développées... Avis aux amateurs!


Sources